D'abord une statistique, incontournable : parmi les 34 élus à l'Assemblée nationale qui, depuis 1867, ont siégé pendant plus de 25 années, on ne trouve que trois femmes : Pauline Marois, Louise Harel et Monique Gagnon-Tremblay.

Bien sûr, avant 1962, avec l'élection de Claire Kirkland-Casgrain, tout simplement aucune femme n'était entrée au Salon de la race - le Salon bleu, qui était vert à l'époque. Mais pourquoi la carrière politique des femmes est-elle plus courte ? Les causes sont multiples... et difficiles à déterminer, expliquent ces rares marathoniennes de la politique.

Isabelle Charest et Christine Mitton pour la Coalition avenir Québec (CAQ), Marwah Rizqy et Jessica Harnois pour les libéraux, Nathalie Leclerc et Diane Lavallée au Parti québécois : tous les partis ont trouvé des femmes connues pour tenter leur chance aux prochaines élections générales. On vise la parité hommes-femmes dans les candidatures, une cible impensable il y a quelques années encore. Mais ces femmes pourront-elles rester longtemps au Parlement ? Surtout, le voudront-elles ?

Des élues actuelles ont toutes les chances d'être là dans plusieurs années. Catherine Fournier, 26 ans, se représente dans le bastion péquiste de Marie-Victorin, tout comme Lise Thériault et Christine St-Pierre, aussi élues dans des bastions libéraux. Pour la CAQ, Geneviève Guilbeault et Nathalie Roy auront probablement un long parcours. Depuis quelques années, la clé de la résilience comme député est, davantage que le sexe, un mélange d'âge et de géographie.

La semaine dernière, Stéphanie Vallée, ministre de la Justice, a tiré un trait sur 11 années au Parlement. Dans son allocution de départ, pas d'allusion au fait qu'être une femme ait pu contribuer à son départ. Même chose pour la députée péquiste Nicole Léger, après 22 ans ; idem pour Agnès Maltais, après 20 ans.

Pour Mme Vallée, le fait d'être une femme n'a rien à voir avec la durée de la carrière politique - Martin Coiteux et David Heurtel partent après quatre et cinq ans, relève-t-elle. 

« On prend nos décisions en fonction de nos réalités familiales. On leur en demande beaucoup, aux enfants, au conjoint. Il y a aussi la volonté de faire autre chose, même si la colline parlementaire, c'est enivrant. » - Stéphanie Vallée, ministre de la Justice et ministre responsable de la région de l'Outaouais, dans un entretien à La Presse

« La politique, c'est dur, et c'est encore plus dur pour les femmes, il faut toujours se battre, c'est un double standard, observe cependant l'ex-première ministre Pauline Marois. Les femmes voudraient toujours être premières de classe, ne veulent pas faire d'erreurs. Or, la politique est un monde d'imperfection. »

Les femmes « se font atteindre plus facilement, ont une carapace moins épaisse, mais ce n'est pas mauvais. Nous avons une relation assez particulière avec le pouvoir », ajoute Mme Marois. Après de nombreuses entrevues pour trouver des candidates, Mme Marois observe qu'elles « ont peur que le pouvoir les corrompe, les éloigne de leurs valeurs profondes ». « Dans le privé, un homme est candidat à un poste quand il estime remplir les conditions à 75 %. Il se dit qu'il saura combler la différence. Une femme ne soumettra son nom que si elle considère remplir parfaitement la description de l'emploi ! », observe Mme Marois. « Un homme ne se pose pas autant de questions qu'une femme avant de se porter candidat », confirme Lise Bacon, ex-ministre libérale, élue pendant 16 ans à l'Assemblée nationale et qui a prolongé sa carrière pendant 15 ans au Sénat.

Mme Marois n'adhère pas à la perception générale voulant qu'on donne de moins bonnes circonscriptions aux candidates. Une étude du Conseil du statut de la femme montre que le nombre de femmes élues dépasse généralement la proportion de candidates. Ce serait l'inverse si on les reléguait dans les circonscriptions plus risquées.

« INVRAISEMBLABLE »

Pauline Marois et Louise Harel ont toutes deux siégé 27 ans et 8 mois à l'Assemblée nationale et Monique Gagnon-Tremblay, ministre sous Robert Bourassa, Daniel Johnson et Jean Charest, pendant 26 ans et 9 mois.

« Les femmes ont eu une moins grande longévité que les hommes, peut-être parce qu'on a débuté plus tard... il n'y a eu qu'une seule élue jusqu'en 1976, au moment où cinq femmes ont fait leur entrée », indique de son côté Louise Harel, députée péquiste de 1981 à 2008. Elle aura été la première à atteindre 25 ans, mais 18 hommes la devancent dans la liste des vétérans.

« C'est invraisemblable, ce que j'ai entendu ; des dizaines hommes ont quitté en disant "dorénavant, je vais m'occuper de ma famille". Pensez-vous qu'une femme pourrait dire la même chose ? », lance Mme Harel. 

« C'est un bel exemple de double standard : un homme dit ça et on trouve ça émouvant. Si une femme disait la même chose, on l'accuserait de ne pas avoir été capable de concilier les deux. » - Pauline Marois, ex-première ministre du Québec

« Il est rare que les femmes vont donner ces raisons, les hommes, eux, parlent de leur famille... quand ils s'en vont ! », observe Mme Bacon.

Autre différence, selon Louise Harel, une femme qui est élue s'organise pour que rien ne change dans la vie quotidienne, à la maison. « Un homme qui devient député ou ministre change tout autour de lui », observe-t-elle. Autre impondérable, les femmes doivent accepter de se retrouver dans l'opposition, un passage plus difficile qui est pourtant « une école formidable ». « Cette perception est de moins en moins répandue. J'étais réputée pas trop obéissante, peut-être que lorsqu'on se sent à l'aise dans l'opposition, cela facilite la longévité », se souvient la pasionaria péquiste.

« On vit en quatrième vitesse, ce sont des années extraordinaires de réalisation, il faut le faire savoir. On n'est pas politicienne par masochisme ! », lance l'ex-députée d'Hochelaga.

photo Jacques Boissinot, archives la presse canadienne

Pauline Marois