La vérification des allégations faites par Annie Trudel aura coûté plus de 1 million en fonds publics. Les deux enquêtes de la vérificatrice - sur le présumé «stratagème» par lequel les firmes obtenaient une accréditation de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et, l'an dernier, sur le processus d'attribution des contrats au ministère des Transports - ont démontré que, dans les deux cas, les accusations de la lanceuse d'alerte étaient sans fondement.

Sans fondement, mais pas sans dommages collatéraux. Après une longue carrière policière, Marcel Forget, numéro deux de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), a été congédié à cause des «révélations» de la lanceuse d'alerte. «C'est directement relié à ses déclarations. Elle a fait une entrevue avec TVA; le lendemain, le premier ministre demandait de faire enquête dans mon service, à la suite des allégations de corruption et de collusion avec un "haut dirigeant de l'UPAC, aux vérifications". Il n'y en avait qu'un, c'était moi. Mes problèmes ont commencé à ce moment-là!»

Mme Trudel avait soutenu que des firmes externes avaient payé de 600 000 $ à 1 million pour avoir leur accréditation de l'AMF, avec la bénédiction de Marcel Forget. Elle s'était rétractée plus tard, mais le policier avait déjà mis fin à une longue carrière sans faux pas.

«Pour moi, c'est un film d'horreur, cette histoire-là!», s'exclame M. Forget en entrevue avec La Presse, mercredi.

En conférence de presse, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, a précisé que l'enquête sur le «stratagème» dépeint par Mme Trudel aura nécessité 5500 heures de travail à ses vérificateurs. Des sources qui connaissent bien ces travaux au bureau du Vérificateur indiquent que l'audit sur l'adjudication des contrats par le ministère des Transports était de la même importance. Pour le bureau du VG, à un taux d'un peu plus de 100 $ l'heure, selon ces sources, ces deux enquêtes auront coûté largement plus de 1 million, un calcul validé par le bureau de Mme Leclerc. Confiées à une firme privée, ces enquêtes auraient facilement coûté le double.

Mercredi, Mme Leclerc n'a pas voulu critiquer la lanceuse d'alerte, Mme Trudel. Le rôle des dénonciateurs est important, «mais ils devraient passer par les voies appropriées, la police ou le Protecteur du citoyen», résume-t-elle. Mme Trudel avait rencontré les experts de la vérificatrice. 

«Alléguant le secret professionnel, Mme Trudel ne nous a transmis aucune information en lien avec les allégations», indique Mme Leclerc.

«Elle nous a mentionné qu'elle n'avait pas communiqué ses allégations à certains organismes publics, soit à la Sûreté du Québec et le Protecteur du citoyen», a ajouté la vérificatrice générale.

La vérificatrice a eu accès aux courriels échangés par les employés de l'AMF et les sociétés qui demandaient des autorisations. Elle a relancé 316 entreprises qui avaient eu à fournir des renseignements supplémentaires pour obtenir leur approbation de l'AMF. Soixante-dix ont répondu, et aucune n'a constaté qu'on l'avait incitée à passer par un intermédiaire. Mme Trudel soutenait que des firmes étaient recommandées.

«Nous n'avons trouvé aucune information fournissant des indices quelconques qu'une firme aurait été favorisée», tranche Mme Leclerc dans son rapport. Elle observe toutefois des «incohérences» dans l'application des normes par l'UPAC, le système de contrôle et la formation des enquêteurs, qui devrait selon elle être améliorée, mais elle reconnaît ne pas avoir vu de décision arbitraire.

Des baux renouvelés sans les contrôles nécessaires

La vérificatrice générale avait aussi le mandat de mettre sous sa loupe l'ensemble des baux signés par les ministères, organismes et réseaux. Dans quatre dossiers, elle observe que le renouvellement de baux importants s'est fait sans les contrôles nécessaires.

Pour loger la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) - aujourd'hui la CNESST - à Montréal en 2007, la Société immobilière du Québec (SIQ) a renouvelé un bail pour 22 ans, soit 7 ans avant qu'il ne vienne à échéance. Constat troublant, le rapport observe que cette décision s'est prise juste avant qu'une nouvelle direction soit en place. Les responsables de la CSST, alors par intérim, ont renouvelé le contrat pour la location du 1199, rue De Bleury, à Montréal, sept ans avant son échéance.

110 millions pour le bail de la CSST

Ils engageaient ainsi la Commission à payer 110 millions en location, de 2008 à 2029. Il n'a pas été possible d'établir qui est le propriétaire de l'édifice, car la vérificatrice s'est heurtée à des sociétés à numéro, enregistrées à l'étranger, des informations accessibles aux policiers, a-t-elle dit mercredi. Deux membres du conseil d'administration, Michel Kelly-Gagnon, alors du Conseil du patronat, et Henri Massé, de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), avaient avalisé le prolongement du bail.

«Pendant plusieurs mois, on nous avait dit qu'il y avait des problèmes avec cet immeuble; structure, ascenseurs. On nous expliquait que, pour procéder à un investissement important, le propriétaire exigeait un renouvellement anticipé», se souvient M. Kelly-Gagnon. «La permanence de la CSST nous recommandait d'accepter», explique-t-il.

«Onze ans plus tard, si j'avais su ce que je sais aujourd'hui, j'aurais poussé l'affaire plus loin. J'ai un certain regret, mais j'ai agi de bonne foi à l'époque, sur la base des recommandations de gens qualifiés.»

La vérificatrice a aussi constaté que trois baux importants, pour le 800 et le 900, place D'Youville, de même que pour le 200, chemin Sainte-Foy, à Québec, ont été signés pour des périodes de plus de 10 ans, contrairement à la politique de la Société québécoise des infrastructures (qui a remplacé la Société immobilière). Il ne s'agit pas d'édifices qui sont la propriété de George Gantcheff ou de Marc Bibeau, précise la vérificatrice. Ces trois baux contenaient des clauses selon lesquelles le gouvernement était sérieusement désavantagé quant à la rétrocession des espaces inoccupés, du taux de loyer et du coût des rénovations.

Propriétés de Marc Bibeau et de George Gantcheff

Sur les propriétés de MM. Bibeau et Gantcheff, deux bailleurs de fonds du Parti libéral du Québec, Mme Leclerc a trouvé un bail avec M. Bibeau et deux avec M. Gantcheff qui n'ont pas fait l'objet d'un appel d'offres. Comme d'autres propriétaires, les deux hommes ont profité des failles d'un système laxiste.

Quatre autres baux, conclus avec d'autres propriétaires, ont été aussi signés de gré à gré. La vérificatrice déplore que, pour les organismes publics qui peuvent négocier indépendamment de la Société québécoise des infrastructures (SQI), la moitié des baux n'ont pas été négociés de façon assez serrée. On n'a pas suffisamment fait jouer la concurrence. 

À l'interne, des sources expliquent un sérieux problème de gouvernance : la SQI est ultimement tenue d'appliquer la décision de son client; elle ne peut forcer un ministère ou un organisme à déménager pour des raisons d'économies.

Un rapport de PWC commandé par la SQI indique qu'en mars 2017, 88% des baux du gouvernement étaient en dessous du prix courant, relève le rapport. Mme Leclerc a examiné 16 baux expressément pour constater que dans 11 cas, le loyer était inférieur au prix courant - de plus de 15% dans deux dossiers. En revanche, pour cinq baux, le loyer était au-dessus du prix courant, dont quatre à plus de 15% du prix normal.

D'autres constats de la VG du québec

Terrains contaminés

Le constat de la vérificatrice sur les 1900 terrains contaminés qui relèvent du gouvernement n'est pas tendre. Ce «passif environnemental» est un déficit de 3,1 milliards qui figure aux équilibres du gouvernement. Or, le plan de réhabilitation de ces terrains est en panne, l'objectif de 2021-2022 n'est pas en voie d'être atteint puisque peu de terrains sont jusqu'à maintenant réhabilités.

Manque de coordination entre les ministères, absence de plan d'action : le gouvernement n'a jamais donné la priorité à ses actions pour intervenir en premier lieu sur les terrains qui présentent le plus de risques pour la santé et l'environnement. Les sommes investies par les ministères de l'Environnement et de l'Énergie sont insuffisantes par rapport à leurs responsabilités quant aux décontaminations.

Capitale nationale

La vérificatrice constate aussi des failles à la gouvernance de la Commission de la capitale nationale, qui manque de rigueur dans la gestion des projets - les budgets sont fréquemment modifiés, l'analyse des besoins est défaillante, et les contrats sont habituellement signés une fois les travaux entrepris.