Le gouvernement du Québec craint que le projet de loi sur la décriminalisation des grossesses payées déposé plus tôt cette semaine à Ottawa mène à une marchandisation du corps des femmes.

C'est la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, qui a manifesté son inquiétude face à la mesure législative du député Anthony Housefather.

«Nous nous opposons vigoureusement à toute législation qui ouvrirait la porte à la marchandisation du corps de la femme», a-t-elle signalé dans une déclaration écrite fournie par son bureau.

Éliminer des amendes ou des infractions criminelles comme vise à le faire la mesure législative C-404 a pour effet «d'enlever une composante dissuasive», a-t-elle fait valoir lorsqu'on lui a demandé de préciser sa pensée.

La ministre Vallée a donc enjoint le député Housefather à «clarifier son intention réelle à cet égard», plaidant qu'il est primordial de protéger «les femmes susceptibles d'offrir leurs services à titre de mère porteuse».

Elle a toutefois plaidé «qu'à la lumière de l'évolution de la famille du 21e siècle», l'encadrement des pratiques de fécondation «peut nécessiter une révision», précisant que «l'encadrement des contrats de mères porteuses relève exclusivement de la compétence du Québec».

En déposant son projet de loi, mardi, Anthony Housefather a spécifié que celui-ci ne créerait pas un régime national sur la rétribution des dons de sperme, d'ovules et des mères porteuses et qu'«il n'y a aucune obligation de la part du Québec de permettre la rémunération».

Le député avait par ailleurs indiqué, la semaine précédente, que son idée avait généré des réactions fort différentes au Canada anglais: «Il y a une tendance, au Québec, de ne pas soutenir toute l'idée des mères porteuses», a-t-il soutenu.

Son projet de loi a eu droit à un accueil plutôt favorable sur la colline d'Ottawa, selon les témoignages recueillis jusqu'à présent.

La ministre de la Condition féminine, Maryam Monsef, n'a pas voulu commenter la réaction de la ministre Stéphanie Vallée, et elle a aussi refusé d'offrir sa position personnelle sur le projet de loi lorsque La Presse canadienne l'a sollicitée, jeudi.

Elle a noté que le gouvernement a désormais l'obligation de passer au crible toutes les mesures pour s'assurer qu'elles sont basées sur «une approche intersectionnelle» afin de tenir compte de leurs effets sur les femmes, les hommes et les personnes de diverses identités de genre.

La mesure législative modifierait la Loi sur la procréation assistée de 2004 afin de décriminaliser le fait de payer pour un don de gamètes et celui de rémunérer une femme pour porter un enfant.

Elle prévoit que les donneurs de spermatozoïdes et d'ovules ne peuvent avoir moins de 18 ans et être forcés à faire le don, et que les mères porteuses ne peuvent être âgées de moins de 21 ans et être contraintes par un tiers à le devenir.

«De bonnes intentions», croit la FFQ

La présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Gabrielle Bouchard, estime pour sa part que le projet de loi du député libéral d'arrière-ban n'est pas parfait et qu'il peut «mener à des abus», mais elle en appuie le principe.

«Il y aurait échange d'argent pour (être mère porteuse); c'est une bonne chose, ça permet de couvrir les frais, ça tient compte du fait que cette femme-là va avoir à utiliser son corps et peut-être changer sa vie pendant sa gestation», a-t-elle dit en entrevue téléphonique.

En revanche, elle craint que des futurs parents puissent tenter d'exercer un contrôle sur le corps d'une mère porteuse avec qui ils signent un contrat - par exemple, «comment la femme va accoucher, où elle va accoucher, quel examen elle doit passer», a illustré Mme Bouchard.

Lorsqu'on lui demande si elle redoute, comme certains groupes féministes, un glissement vers une marchandisation du corps de la femme avec le dépôt d'un projet de loi comme celui-ci, la présidente se braque.

«On décriminalise le potentiel des femmes d'avoir une rémunération, d'avoir un élément pécunier en échange de porter des enfants, et je ne dirai pas que ce choix-là est invalide pour les femmes», a-t-elle lancé à l'autre bout du fil.

«L'option contraire, ce serait de dire que je suis contre le droit des femmes de faire ce qu'elles veulent avec leur corps. C'est là qu'il faudrait que j'aille. Et ça, ça ne se fait pas», a tranché Gabrielle Bouchard, première femme transgenre à présider la FFQ.

PC

Gabrielle Bouchard