Sortir de l'obscurité et aller à la rencontre des élus et de la population afin de leur proposer une grande réforme, tel est le mandat que s'est donné le nouveau commissaire au lobbyisme du Québec.

Dans une rare entrevue qu'il a accordée à La Presse canadienne, Jean-François Routhier a dit multiplier les rencontres avec les députés ces jours-ci, pour les presser à adopter des changements depuis longtemps attendus.

Très présent, le lobbyisme au Québec - ou l'art d'influencer les décideurs publics - est régi par une loi quasi archaïque, déplore-t-il.

Le quadragénaire, qui se décrit comme un « sentinel de l'État », des gens d'ordinaire discrets, cherche dans un premier temps à rapatrier le registre des lobbyistes et à le gérer lui-même.

Pour l'heure, le registre est la responsabilité du ministère de la Justice, ce qui suscite des complications administratives importantes.

« Le registre, c'est l'outil de transparence, l'outil de travail des lobbyistes, l'outil de gestion de risque des titulaires de charges publiques, et c'est vraiment essentiel que l'on puisse commencer à travailler sur la réforme de ce registre-là », a-t-il déclaré, en pressant le gouvernement de scinder son projet de loi 56 immédiatement afin de procéder au rapatriement d'ici le 15 juin.

« Ça devrait être aussi facile d'amorcer un projet de mandat dans le registre que de payer son stationnement avec une application mobile sur son téléphone intelligent. Aujourd'hui, on devrait être là », a-t-il plaidé.

Conscient du décompte électoral, Me Routhier sollicite les appuis de tous les partis afin d'entamer dès le début de la prochaine législature la grande réforme qu'il désire si ardemment.

Car, après le transfert du registre, il entend faire pression pour que la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme soit durcie.

Le commissaire reconnaît lui-même n'avoir « pas de dents » à cause de moyens « limités ». Il y a très peu de poursuites judiciaires contre les lobbyistes délinquants, dit-il, car le délai de prescription pour poursuivre est d'un an, et non de sept ans comme au Directeur général des élections du Québec (DGEQ).

Son autre irritation : un employé est obligé de s'inscrire au registre que s'il passe une « partie importante » de son temps à faire du lobbyisme.

Au fédéral, l'employé doit passer plus de 20 % de son temps à rencontrer des décideurs. La commissaire fédérale au lobbying a demandé à ce que cette règle soit modifiée, car il est difficile pour elle de l'appliquer et de la faire respecter.

« Les limites qui sont apportées par notre loi présentement sont très importantes, dénonce Me Routhier. Il y a plusieurs infractions qu'on n'est pas capable de démontrer [...] qui pourraient se transformer en accusations, c'est certain. »

L'exemple d'Airbnb

Le commissaire Routhier vient d'ailleurs de terminer une de ses toutes premières enquêtes, qui porte sur la populaire plateforme de location de logements Airbnb.

L'enquête fait suite au dépôt d'une plainte par le député Amir Khadir de Québec solidaire, qui alléguait que la compagnie avait fait du lobbyisme illégal auprès de deux ministres du gouvernement Couillard, en plein processus parlementaire.

La loi à l'étude prévoyait que les locateurs d'Airbnb perçoivent la taxe sur l'hébergement et obtiennent une attestation officielle de Tourisme Québec. Une entente avait été par la suite conclue pour que la compagnie perçoive elle-même la taxe sur l'hébergement de 3,5 % par nuitée.

Le 25 novembre 2015, trois représentants d'Airbnb, nommément Aaron Zifkin, Valérie Mac-Seing et Martin Geoffroy, ont rencontré la ministre du Tourisme de l'époque, Dominique Vien. Seul M. Geoffroy était inscrit au registre à cette époque.

Le 6 avril 2016, un entretien de 45 minutes s'est aussi tenu entre quatre représentants de la compagnie et la ministre du Tourisme, Julie Boulet, à son bureau de Québec. Deux des représentants n'étaient pas inscrits en tant que lobbyistes, a dénoncé Québec solidaire.

« Tous les employés d'Airbnb étaient en pleine conformité avec les lois provinciales sur le lobbying », a réaffirmé une porte-parole d'Airbnb, Lindsey Scully, dans une déclaration écrite, cette semaine.

Aucune sanction prévue à la loi n'est applicable dans le cas d'Airbnb, a tranché le commissaire dans une lettre adressée à M. Khadir le 20 avril dernier.

« Nos travaux nous ont permis de constater que des activités de lobbyisme ont été exercées par certains représentants d'Airbnb sans que ceux-ci soient inscrits au registre des lobbyistes du Québec, a-t-il écrit. Cependant, en raison des dispositions de la loi [...] notamment en ce qui a trait aux délais de prescription [...] la présente affaire n'aura pas d'autres suites de notre part. »

Invité à motiver sa décision en entrevue, il a indiqué ne pas avoir la « preuve requise » que les personnes qui ont fait du lobbyisme pour Airbnb sans être inscrites au registre consacrent une « partie importante » de leur temps à ces activités.

Impossible, donc, d'imposer des sanctions disciplinaires. Encore moins possible de déposer un constat d'infraction au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), car le délai de prescription d'un an est de toute façon expiré.

« Ce que je retiens, c'est que les gros bonnets malheureusement s'en tirent toujours », a réagi M. Khadir en entrevue téléphonique.

Par ailleurs, Me Routhier souhaite faire porter une plus grande responsabilité aux entreprises et aux cabinets ministériels. Actuellement, par exemple, ce n'est pas à un ministre de voir à ce que l'entreprise qu'il rencontre respecte les règles.