Les relations entre Québec et Ottawa paraissaient au beau fixe. Jusqu'à ce que quatre ministres du gouvernement Couillard y aillent d'une sortie percutante : le réseau québécois susceptible d'accueillir les milliers de migrants qui se présentent à la frontière est « saturé ». Pas question d'en recevoir davantage sans compensation fédérale.

Mercredi soir, Québec pavoisait. Le ministre de l'Immigration, David Heurtel, sortait d'une réunion plutôt positive. Le lieutenant de Justin Trudeau pour le Québec, Marc Garneau, accusait le coup. Québec comprend qu'il obtiendra les 74 millions demandés pour aider à recevoir ces nouveaux arrivants. Le triage sera amélioré, ceux qui veulent aller en Ontario seront vite satisfaits.

Le ministre Heurtel, c'est de bonne guerre, avait dramatisé l'impact de ces visiteurs. L'instruction des 2500 enfants attendus signifiait qu'il fallait trouver l'équivalent de cinq écoles primaires, dans une métropole où le réseau scolaire craque de partout. Les demandeurs d'asile étaient 25 000 l'an dernier, on en attend 30 000 cette année. Et ils sont d'origines fort diverses. Même avant qu'Ottawa ne jette du lest, on avait relevé quatre établissements cumulant les 1850 places qu'on jugeait nécessaires.

Pour l'opposition péquiste, le soulagement du ministre Heurtel est « un très bel exercice de diplomatie canadienne », mais il ne débouche pas sur un engagement clair, souligne Véronique Hivon. La formation d'un comité de travail n'a rien de très contraignant, a-t-elle relevé. Le Québec accueille 91 % de ces entrées irrégulières aux frontières.

L'intervention de Nathalie Roy, de la Coalition avenir Québec, a été moins avisée. Elle a reproché à Québec d'avoir réduit du tiers le nombre de fonctionnaires « qui s'occupaient des dossiers de ces demandeurs d'asile ». Or, ceux qui analysent ces demandes sont des fonctionnaires fédéraux.

L'ÉTAT DES LIEUX

Après deux ans et demi de gouvernement Trudeau, en matière de relations Ottawa-Québec, quel est l'état des lieux ? Les relations sont plutôt bonnes, en dépit des sautes d'humeur de cette semaine. Le dossier de l'immigration restera au centre de la table, puisqu'il faut prévoir que le nombre de demandes d'asile augmentera ces prochaines années. Cette question n'est pas prévue par les ententes particulières signées par Ottawa et Québec (McDougall-Gagnon-Tremblay ou Cullen-Couture) sur l'immigration.

De manière générale, entre les cabinets de Justin Trudeau et de Philippe Couillard, les échanges sont fluides. Jean-Marc Fournier tire aussi des ficelles avec ses contacts chez les libéraux fédéraux. Marc Garneau est considéré à Québec comme un ministre pragmatique.

Publiée il y a un an, la politique « d'affirmation du Québec », rédigée en bonne partie par M. Fournier, s'était heurtée à une indifférence totale à Ottawa. Tous les signes avaient été donnés au préalable par le gouvernement Trudeau plus d'un mois avant la publication, confie-t-on.

Le litige récent autour du pipeline de Kinder Morgan a montré un Québec au diapason avec la Colombie-Britannique, une position étonnante. Depuis des années, l'Alberta est traditionnellement l'alliée naturelle du Québec.

Dans ce cas, en dénonçant l'intention d'Ottawa de forcer le triplement de la capacité - le pipeline existe déjà sur 90 % du parcours -, Québec a joué la carte des compétences constitutionnelles des provinces, plutôt que la carte politique. Une position préventive, peut-être. Le projet de Trans Canada au Québec revivra peut-être un jour, et le gouvernement du Québec ne voulait pas cautionner un précédent permettant à Ottawa d'imposer ses vues sur son territoire.

INFRASTRUCTURES

Dans d'autres dossiers, les relations Ottawa-Québec baignent dans l'huile. Les discussions autour du renouvellement de l'ALENA sont sans nuages. La bonne entente règne aussi autour du traité de libre-échange avec l'Europe.

Le Québec revendique toujours le respect de ses priorités dans la négociation sur la phase II des ententes sur les infrastructures. Beaucoup de projets du Québec, la moitié du Plan québécois des infrastructures, ne sont pas admissibles au programme fédéral. Pas moins de 60 % des projets ne seraient pas admissibles, comme les hôpitaux, les routes. Québec aimerait que des projets le soient au moins partiellement.

Québec a moins de projets « verts » à présenter et peinera à obtenir 23 % - son poids démographique - de cette enveloppe. Même le prolongement de la ligne bleue de Montréal n'était pas automatiquement admissible. Le tramway à Québec sera plus facile à faire accepter, puisqu'on peut prouver qu'il réduira la circulation automobile. Le dossier du REM est réglé avec Ottawa du point de vue du financement.

La mise en oeuvre de l'option de sortie (opting-out) d'un programme fédéral de garderies est réglée. La question du logement social est toujours pendante, mais elle fait l'objet d'une négociation entre Ottawa et l'ensemble des provinces. Sur la santé, Ottawa maintient son transfert inconditionnel sur la base de l'asymétrie - le principe qu'avait obtenu Jean Charest de Paul Martin en 2004. Le Québec aura au prorata de sa population les fonds pour la santé mentale et les soins à domicile.

Mais en matière de transfert canadien pour la santé, la réduction de 6 à 3 % de la croissance annuelle signifie un manque à gagner de 11 milliards sur 10 ans pour le Québec. La contribution fédérale aux dépenses provinciales en santé passera de 22 % à moins de 20 % d'ici cinq ans. On est loin du 25 % suggéré par la Commission Romanow, il y a maintenant près de 10 ans.

Québec et Ottawa ne s'entendent pas non plus sur l'imposition de taxes sur des services comme Netflix. Québec a annoncé qu'il taxerait et prélèverait même la part d'Ottawa pour la retourner au gouvernement fédéral. En effet, depuis des ententes conclues il y a 30 ans, Québec et Ottawa s'étaient entendus sur des assiettes identiques de biens et services à taxer.

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

Les demandeurs d'asile étaient 25 000 l'an dernier, on en attend 30 000 cette année.