La ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, attendra à juin avant de décider si elle expurgera ou non les concepts «d'homme» et de «femme» des formulaires officiels.

Elle prendra alors connaissance du rapport d'un comité interministériel, formé à l'automne dernier précisément pour formuler des recommandations au gouvernement à ce sujet.

Le mandat du comité est «d'analyser les enjeux soulevés par les marqueurs de genre dans les documents d'identité gouvernementaux tels que le permis de conduire, la carte d'assurance maladie ou les dossiers médicaux, qui contiennent de tels marqueurs, et documenter le sujet, afin d'alimenter la réflexion du gouvernement à cet égard».

Le mois dernier, à Ottawa, l'idée de bannir les termes «Monsieur/Madame» et «père/mère», et d'utiliser un langage neutre avec les contribuables, avait semé la controverse d'un bout à l'autre du pays. Le chef conservateur Andrew Scheer avait d'ailleurs qualifié l'initiative de «ridicule».

Des recommandations gouvernementales entourant l'emploi du langage neutre chez Service Canada devaient entre autres servir à éviter «de décrire un préjugé perçu envers un genre ou un sexe».

Sur la défensive, le ministre responsable de Service Canada, Jean-Yves Duclos, avait expliqué qu'il était «respectueux» de demander aux Canadiens comment ils souhaitent se faire appeler.

«Quand l'information (sur le genre) est déjà connue, (...) cette manière-là doit être utilisée, et si ça passe par monsieur ou madame, c'est tout à fait comme ça que ça va se passer», avait-il enchaîné, sans jamais préciser s'il avait personnellement ordonné à Service Canada de revoir ses pratiques.

L'attachée de presse du ministre Duclos, Émilie Gauduchon, a fait valoir que la nécessité de revoir les pratiques est apparue après qu'Ottawa eut été critiqué - et même poursuivi devant les tribunaux - pour son emploi d'un vocabulaire ne tenant pas compte de l'identité de genre.

«Ça n'enlève pas les droits à personne»

Au Québec, la Coalition des familles LGBT, qui dit sentir une grande ouverture chez la ministre Vallée, presse le gouvernement de poursuivre l'adaptation de la terminologie des documents administratifs, tel que promis dans le Plan québécois de lutte contre l'homophobie et la transphobie 2017-2022.

La présidente de la CF-LGBT, Mona Greenbaum, soutient qu'il s'agit à la base d'une question de respect de l'autre et de son identité. Elle presse le gouvernement de procéder aux changements rapidement, sans penser aux possibles remous que cela pourrait causer en période préélectorale.

«Le timing en termes des élections, ça crée une situation où on travaille derrière les scènes et puis pas très publiquement, a-t-elle concédé en entrevue téléphonique. Les gens ont toujours peur du changement, mais en enlevant ces catégories, ce que ça fait finalement, c'est que ça inclut tout le monde.»

«Ça n'enlève pas les droits à personne, a-t-elle plaidé. C'est comme dire: si on donne des droits aux Noirs, on enlève des droits aux Blancs. Ce n'est pas comme ça.»

Elle-même aurait souhaité pouvoir cocher «mère» et «mère» sur le formulaire d'inscription de l'école secondaire de son garçon. «Si je ne prétendais pas être le père de mon enfant, je ne pouvais pas l'inscrire (en ligne)», a relaté Mme Greenbaum, en ajoutant que si des voitures pouvaient rouler sans conducteur, «on peut changer un petit logiciel pour les parents».

À la réception du rapport du comité interministériel en juin, la ministre Vallée pourrait décider de demander des «précisions» ou encore annoncer sa position, selon son attachée de presse.

Isabelle Marier-St-Onge n'a d'ailleurs pu dire si le gouvernement Couillard avait l'intention d'agir dans le dossier avant l'élection générale d'octobre.

Elle a également mentionné qu'aucune réflexion est en cours au gouvernement au sujet des toilettes non genrées, contrairement à ce qui a été entrepris à Ottawa.

En mars, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a confirmé à La Presse avoir mis à la disposition de ses employés et des visiteurs des toilettes non genrées afin de leur offrir «un milieu de travail diversifié, inclusif et accueillant».

Depuis l'adoption de la loi québécoise sur l'union civile en 2002, les conjoints homosexuels vivant en union civile disposent des mêmes droits et privilèges que les couples hétérosexuels mariés. La loi reconnaît aussi l'adoption et précise les règles de filiation des conjoints sur l'acte de naissance d'un enfant.

En 2013, afin de tenir compte du fait que certains élèves ont des parents homosexuels, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) a changé ses formulaires pour privilégier le terme «parent», même s'il est encore possible de spécifier s'il s'agit d'une mère ou d'un père.

En 2016, la ministre Vallée a fait adopter la loi 103, qui reconnaît les enfants transgenres. Les enfants et adolescents québécois peuvent donc faire modifier la mention de sexe apparaissant sur leur acte de naissance, au bureau du Directeur de l'état civil. Les adultes trans avaient déjà la possibilité de faire modifier leur acte de naissance et leur nom depuis 2015.

De plus, la Charte des droits et libertés de la personne a été modifiée, de manière à interdire de façon explicite toute forme de discrimination fondée sur l'identité de genre.