Le ministère québécois de la Justice voit d'un bon oeil l'idée d'imposer des sanctions aux automobilistes dès que l'alcoolémie atteint 0,05, mesure qu'a rejetée le ministre des Transports, André Fortin.

Dans une lettre envoyée le 27 septembre dernier à son homologue de la Sécurité publique, la sous-ministre de la Justice, France Lynch, rappelle l'intention d'Ottawa de diminuer la limite légale de 80 à 50 mg par 100 ml de sang en vertu du Code criminel, une loi fédérale. Elle réitère les réticences de Québec à ce sujet. Avec une telle mesure, « le nombre de dossiers judiciarisés pour la conduite sous l'effet de l'alcool serait susceptible de doubler, entraînant ainsi une augmentation importante de la charge de travail des services de police, des procureurs et des tribunaux », peut-on lire dans cette lettre rendue publique en vertu de la loi sur l'accès à l'information.

Le changement envisagé par le gouvernement fédéral aurait également « des impacts importants touchant la sécurité routière, le système de justice, les corps policiers, l'industrie hôtelière et de la restauration, et bon nombre de citoyens ».

Selon Mme Lynch, « cette problématique pourrait être, en partie, amoindrie par un système de sanctions administratives pécuniaires ». Le Québec est la seule province à n'imposer aucune sanction administrative entre 0,05 et 0,08.

La sous-ministre vante le modèle de la Colombie-Britannique. En vertu de l'interdiction de conduite appelée Immediate Roadside Prohibition (IRP), lorsqu'un automobiliste a un taux se situant entre 0,05 et 0,08, son permis est suspendu pour trois jours et des amendes et autres frais totalisant au moins 600 $ lui sont imposés dans le cas d'une première infraction.

Ce programme mis sur pied en 2010 a permis de réduire le nombre d'accidents d'automobile reliés à l'alcool de 40 % et le nombre de blessés de 23 %, fait valoir la sous-ministre. Une étude a également conclu à une baisse de 52 % des morts liées à de tels accidents. « Les poursuites criminelles en matière de capacité de conduite affaiblie auraient ainsi diminué de 75 à 80 % », ajoute-t-elle.

Elle révèle que des « travaux préliminaires » ont été entrepris sur une « éventuelle implantation » d'un régime québécois d'« IRP », à l'initiative du Ministère et de la Direction des poursuites criminelles et pénales. Ces travaux « ont permis de constater que le Québec doit procéder à une analyse particularisée à sa réalité et à ses valeurs », note-t-elle.

Elle propose ainsi de pousser plus loin la réflexion avec la création d'un comité interministériel où siégeraient également des représentants des ministères de la Sécurité publique et des Transports. Ce comité aurait pour mandat de conseiller le gouvernement à l'égard de « la mise en place d'un programme de sanctions pénales administratives, selon les orientations retenues des autorités, suivant la présentation d'une note au Comité des priorités » - auquel siègent le premier ministre et des membres de son cabinet.

LE MINISTRE DES TRANSPORTS S'Y OPPOSE

Or, un peu plus de deux mois après l'envoi de cette lettre, André Fortin rejetait sans détour l'instauration de sanctions administratives dès 0,05, à l'occasion du dépôt de son projet de loi révisant le Code de la sécurité routière. Les consultations publiques sur ce projet de loi débuteront le 6 février.

Hier soir, le cabinet de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a indiqué que le comité interministériel était toujours en place malgré le rejet de sanctions dès 0,05. Ce comité a également pour mandat d'évaluer les impacts des intentions du fédéral au chapitre du Code criminel, ajoute-t-on.

Le gouvernement Charest avait tenté à deux reprises, en 2007 et en 2010, d'imposer une suspension pendant 24 heures du permis de conduire d'un automobiliste dont l'alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,08. Il avait reculé chaque fois devant la grogne des restaurateurs et les hauts cris des partis de l'opposition.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse