«À ce stade-ci, je ne perçois pas de crise» à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, soutient sa présidente Tamara Thermitus, visée par trois plaintes pour abus d'autorité, mauvaise gestion et manque de respect envers le personnel. Mandatée par le gouvernement pour piloter la consultation sur le racisme, elle répond aux détracteurs que cette «conversation» ne se transformera pas en «procès des Québécois».

Tamara Thermitus a accordé sa première entrevue mardi depuis les révélations de La Presse du 30 août au sujet d'une enquête du Protecteur du citoyen sur sa gestion. Elle s'est limitée à dire qu'à la lumière de plusieurs rencontres avec ses employés, ceux-ci «sont contents» et «réitèrent leur engagement envers la mission» de l'organisme. «Pour le reste, le Protecteur du citoyen est saisi d'un dossier et il suivra son cours», a-t-elle affirmé.

Rappelons que, selon les mots d'un témoin au sein de la Commission, Mme Thermitus se livre à un «derby de démolition». Cette situation a été un facteur déterminant qui a poussé pas moins de sept employés à quitter leur poste, temporairement ou de manière permanente.

Tamara Thermitus a lancé officiellement mardi la consultation sur la discrimination systémique et le racisme au Québec. Elle a dévoilé le nom des 31 organismes - deux fois plus que prévu - qui seront chargés de mener les consultations locales et de recueillir des témoignages «au courant du mois d'octobre». C'est le premier volet de l'exercice.

«Indépendance intacte»

Ces groupes ont été choisis par le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI). Même si le MIDI est impliqué dans l'organisation de la consultation, «l'indépendance de la Commission est intacte», a soutenu Tamara Thermitus.

Cinq experts indépendants seront nommés prochainement pour diriger quatre équipes de travail. Un site web sera mis en ligne en octobre, un mois plus tard que prévu, pour permettre à tous de s'exprimer sur le sujet et de déposer un mémoire. Un forum national se tiendra en novembre. Les recommandations de la Commission seront transmises au gouvernement «à l'hiver 2018».

«Je ne pense pas qu'il s'agit d'un procès des Québécois, mais plutôt d'une conversation que nous aurons afin de mieux comprendre les dimensions que la discrimination peut prendre. [...] Si on ne peut pas converser dans une société démocratique...», a affirme Mme Thermitus.

La présidente de la Commission des droits de la personne répondait ainsi au Parti québécois et à la Coalition avenir Québec qui réclament l'annulation de la consultation. Elle a fait valoir que la Commission n'en était pas à sa première consultation et qu'elle avait l'expertise nécessaire pour remplir le mandat.

Consultation critiquée par l'opposition

Au premier jour de la session parlementaire, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a ouvert la période des questions au Salon bleu en demandant au gouvernement de «surseoir» à sa consultation.

«Les conditions ne sont pas réunies pour le succès» de cet exercice, a-t-il plaidé. Il y a eu des consultations sur le sujet dans le passé, «des propositions sont sur les tablettes un peu partout, et il suffit de les appliquer». Son parti déposera d'ici deux semaines un projet de loi comprenant des mesures pour lutter contre la discrimination. «Il n'y aura pas de controverse si nous appliquons des mesures. Il y aura controverse si [le premier ministre] s'entête avec cette commission», a ajouté M. Lisée.

Mais pour Philippe Couillard, «il est important que cette consultation se tienne». «En fait, à l'inverse, ce serait très inquiétant que le Québec n'ait pas la capacité de se mobiliser pour parler d'un sujet de vie commune aussi essentiel», a-t-il soutenu. Il a rappelé que l'Ontario avait fait récemment une consultation sur le même enjeu.

«Il y aurait plutôt controverse s'il s'avérait que le Québec se déclare incapable de tenir une consultation sur un thème de société aussi important. Ça m'inquiéterait beaucoup même pour l'image internationale du Québec que notre société recule sur cette possibilité d'avoir cette discussion que toute société avec un niveau de maturité comme la nôtre devrait être capable d'avoir.»

Un exercice public, en grande partie



Il a fait miroiter des «améliorations dans la formule de la consultation». «Notamment quant à son caractère public ou privé selon les cas», a-t-il précisé.

Dans une sortie confuse la semaine dernière, la ministre Kathleen Weil a dit que la consultation serait tantôt publique, tantôt privée. M. Couillard a dissipé le brouillard. «La façon correcte de le faire, c'est que les témoignages soient faits de façon publique, à moins que la personne demande autrement. Parce qu'il y a des considérations de protection des personnes, des gens ont peur de parler de ces questions, de ce qu'elles ont vécu dans leur quotidien», a-t-il expliqué.

Les esprits se sont échauffés lorsque Jean-François Lisée a déclaré qu'«il est sûr qu'il y a du racisme et de la discrimination au Québec après 15 ans de régime libéral». «Par exemple, à la SAQ, il n'y a que 38 employés des communautés sur 6000 et à Hydro-Québec, 312 sur 20 000. C'est après 15 ans de son gouvernement. Peut-il agir avant de partir?»

Pour le premier ministre, son adversaire a «dérapé» avec cette question. Il lui a aussitôt donné la réplique. «C'est lui qui suggérait de fermer les frontières, c'est son parti qui a apporté la suggestion législative la plus discriminatoire en termes d'accès à l'emploi dans la fonction publique», a-t-il lancé en référence au projet de charte des valeurs.

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ILS ONT DIT 

«On est contre la commission depuis le début. Oui, il y a du racisme au Québec, non, il n'y a pas de racisme systémique. La façon que c'est fait par le gouvernement libéral, je ne pense pas que ça va aider à réduire le racisme au Québec. Je pense qu'on serait bien mieux de mettre en place des mesures concrètes pour réduire ce racisme chez certaines personnes plutôt que d'essayer de trouver le peuple québécois coupable de racisme.»

- Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault

«Si l'exercice est bien fait dans la transparence et de manière non partisane, ça peut être un moment de réflexion important pour le Québec. Ceci étant dit, ce n'est pas vers là qu'on s'en va à l'heure actuelle. [...] La situation actuelle au sein de la Commission des droits de la personne fait partie des raisons qui nous poussent à dire qu'il faut que le premier ministre reprenne les choses en main, clarifie le processus et apporte des correctifs.»

- Le député de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois

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- Avec la collaboration de Martin Croteau et d'Hugo Pilon-Larose, La Presse

Tamara Thermitus