Québec ne permettra pas aux citoyens de faire pousser eux-mêmes leurs plants de pot, même si cette autoproduction est autorisée par le projet de loi fédéral déposé en avril dernier. Aux yeux du gouvernement Couillard, les balises proposées par Ottawa sont carrément impossibles à faire respecter, a appris La Presse.

C'est ce qui se dégage de la présentation faite hier par la responsable de la Santé publique Lucie Charlebois lors d'un huis clos de la séance du Conseil des ministres. Au terme du mois de consultation publique sur la légalisation du cannabis au Québec, le gouvernement Couillard a adopté des orientations sur plusieurs aspects de la législation qu'il aura, cet automne, à déposer devant l'Assemblée nationale.

Déposé en avril dernier à Ottawa, le projet de loi C-45 prévoit que les citoyens pourront, dès juillet 2018, faire pousser chez eux jusqu'à quatre plants de cannabis d'une hauteur d'un mètre, pour leur consommation personnelle. Devant un comité parlementaire, cette semaine aux Communes, les représentants de trois corps policiers exhortaient le gouvernement Trudeau à renoncer à cette disposition - ce format de plantation génère trois fois plus de marijuana que les 30 grammes autorisés par le projet de loi fédéral.

Pour Québec, la cause est entendue, comprend-on. Donner le feu vert à cette disposition supposerait un système très lourd de contrôle - «une folie», résume- t-on en marge de la présentation de Mme Charlebois. 

Oui à l'achat en ligne

Selon la même logique, soit l'impossibilité d'appliquer des contrôles efficaces, le gouvernement Couillard va permettre l'achat en ligne du cannabis, au Québec comme dans les autres provinces. Il est carrément impossible de contrôler ce genre de transactions sur l'internet, résume-t-on. Pour la Coalition avenir Québec (CAQ), qui a annoncé sa position sur ce dossier délicat hier, la vente en ligne devrait être interdite ; la police pourrait suivre ces transactions comme elle surveille la vente d'armes illégales, suggère Simon Jolin-Barrette, député caquiste de Borduas.

Distribution

Une question demeure ouverte - et le Conseil des ministres a bien compris que la réflexion devra être poursuivie : par quel canal de distribution le cannabis parviendra-t-il aux consommateurs? Ici, le gouvernement est plus partagé ; des pragmatiques comme Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique, et Carlos Leitão, ministre des Finances, sont d'avis que le secteur privé devrait se voir confier la vente au détail du pot. Québec, à partir de critères serrés d'intégrité, délivrerait des permis. Pas question de quotas de permis, toutefois; on ne veut pas rééditer l'erreur des permis de taxi, dont le nombre limité a fait grimper artificiellement leur valeur. Cette orientation est aussi celle privilégiée par le premier ministre Couillard, mais le gouvernement n'a pas encore tranché.

Car une autre option a été ajoutée sur le tard à la présentation - plus proche des préférences de l'aile sociale du Conseil des ministres, dont Mme Charlebois. Comme en Ontario, Québec pourrait créer un réseau de comptoirs sous la responsabilité de la Société des alcools du Québec (SAQ), mais en dehors des succursales. C'est la voie empruntée par l'Ontario, la semaine dernière. Le gouvernement Wynne compte ouvrir 80 points de vente dans l'année suivant la mise en application du projet de loi. On promet 150 comptoirs d'ici 2020.

Séduisante pour ceux qui veulent un maximum de contrôle sur le commerce, cette orientation présente un problème majeur : elle entraînera une augmentation du prix.

Or, avec un prix trop élevé, la légalisation mise en place n'atteindra pas son objectif, soit l'éradication du marché noir. Avoir à payer des locaux et des employés syndiqués obligerait à afficher un prix plus élevé que le marché, à moins que l'on accepte de vendre à perte. Politiquement, il serait difficile d'expliquer aux contribuables que les surplus de la SAQ ou même leurs impôts servent à éponger ces déficits. Une autre option, mitoyenne, proposerait un système de franchises : le privé détiendrait le permis, mais le commerce serait étroitement contrôlé, uniformisé.

18 ans

Au Québec, l'âge légal pour consommer de la marijuana resterait à 18 ans, comme le suggère Ottawa. La semaine dernière, l'Ontario a annoncé qu'il faudrait avoir 19 ans pour en consommer, la même balise que pour l'alcool dans cette province.

Hier, la CAQ a fait connaître ses choix dans ce débat délicat. «On veut que le Québec adopte la ligne dure», a souligné le député caquiste Simon Jolin-Barrette en conférence de presse. La CAQ préconise que Québec légifère pour fixer l'âge de la consommation légale du cannabis à 21 ans plutôt qu'à 18 ans. Les médecins spécialistes estiment que la consommation peut nuire au développement du cerveau jusqu'à 25 ans, a observé le caquiste Jolin-Barrette.

La CAQ propose que la distribution du cannabis soit la responsabilité d'un réseau public, comme en Ontario. La SAQ serait responsable des points de vente, mais il n'y aurait pas de cannabis dans les succursales.

Pour la CAQ, le Québec devrait réclamer d'Ottawa la totalité de l'assiette fiscale liée au cannabis - le gouvernement fédéral a déjà dit qu'il n'en était pas question.