Le gouvernement du Québec a confirmé vendredi qu'il soustrait définitivement le territoire de l'île d'Anticosti à l'exploration pétrolière et gazière.

«Il était clair que, pour nous, c'était très difficile à la fois d'exploiter les hydrocarbures et en même temps faire une demande à l'UNESCO pour qu'Anticosti devienne (un joyau du) patrimoine mondial», a déclaré le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, alors qu'il se trouvait sur le site du grand prix de Formule E, à Montréal, vendredi.

Afin de pouvoir réaliser cet objectif, le gouvernement a pris la décision de négocier l'abandon des droits de recherche avec les entreprises concernées.

À ce jour, des ententes ont été conclues avec les compagnies Junex, Corridor et Maurel & Prom en contrepartie d'une compensation globale de 41,4 millions de dollars.

«Dans les circonstances, on a remboursé aux entreprises une grande partie des dépenses qu'elles avaient encourues. Pour nous, c'est un règlement qui est satisfaisant», a dit le ministre Arcand.

Toutefois, aucune entente n'a encore été conclue avec deux autres acteurs, soit Trans American et l'un des joueurs les plus importants de ce projet, Pétrolia.

Le président-directeur général par intérim de Pétrolia, Martin Bélanger, se dit «profondément déçu de la tournure des événements» et persiste: «nous sommes toujours convaincus, encore plus qu'en 2014, du potentiel et de la pertinence du projet Anticosti pour le Québec et pour la société», affirme-t-il dans un communiqué.

La société dit malgré tout poursuivre des négociations «de bonne foi» avec le gouvernement du Québec, tout en l'avertissant qu'en raison de son statut d'opérateur au sein du groupe d'entreprises, «il est clair que le gouvernement du Québec ne peut traiter Pétrolia sur le même pied que les sociétés étrangères auxquelles il s'est adjoint en 2014».

«On est plus qu'heureux»

Québec affirme que sa décision permettra de protéger et de conserver le caractère naturel exceptionnel de l'île d'Anticosti et d'en assurer la pérennité pour tous les Québécois.

En janvier dernier, le gouvernement avait appuyé la candidature de la municipalité d'Anticosti comme site du patrimoine mondial de l'UNESCO, reconnaissant au passage que l'obtention d'un tel titre ne cadrerait pas avec l'exploitation pétrolière.

Le maire de la municipalité de L'Île-d'Anticosti, John Pineault, qui s'était fait élire en avril dernier en faisant campagne contre l'industrie pétrolière, s'est dit soulagé d'avoir enfin obtenu gain de cause.

«On est plus qu'heureux. C'est une tonne de briques qui vient de s'enlever sur mes épaules», a-t-il confié à La Presse canadienne.

M. Pineault a tenu à remercier tous les groupes - Premières Nations, écologistes, syndicalistes - qui ont soutenu ses efforts ainsi que le premier ministre Philippe Couillard, à qui il réservait une expression bien de chez nous: «pour une fois que les bottines suivent les babines».

Le maire attend maintenant la suite de cette décision sur le terrain, soit la réhabilitation des sites où des travaux préparatifs à l'exploration avaient été amorcés par les compagnies pétrolières. «Qu'ils nettoient leurs sites pour qu'on mette ça derrière nous», a-t-il lancé.

Emploi et lunettes roses

Selon lui, les quelques personnes qui avaient déjà manifesté un appui au projet dans l'espoir d'y retrouver des emplois avaient eu le temps de changer d'idée.

«Les gens n'étaient pas pour le pétrole, ils étaient pour des jobs et ils ont vu qu'ils avaient mis des lunettes roses», a raconté le maire Pineault, soulignant qu'«il n'y a personne sur l'île qui est géophysicien de formation ou foreur de métier: les jobs seraient allées à des gens de l'extérieur».

En 2014, le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait annoncé un investissement de 115 millions pour faire un premier pas vers l'exploitation pétrolière à l'île d'Anticosti en estimant le potentiel à quelque 46 milliards de barils. Cette annonce avait fait des mécontents, notamment chez les groupes écologistes.

À la Conférence sur les changements climatiques à Paris, en 2015, M. Couillard avait publiquement manifesté son opposition au projet, qu'il avait vigoureusement condamné. Il avait toutefois reconnu que le gouvernement était lié par des contrats et s'exposait à des pénalités s'il ne respectait pas ses obligations dans les démarches des entreprises déjà en cours.

L'annonce du gouvernement Couillard a grandement réjoui les groupes environnementalistes, dont Équiterre qui a indiqué que Québec a pris la bonne décision alors que les investissements dans le pétrole et les autres combustibles fossiles diminuent de plus en plus et que la planète se tourne vers les énergies renouvelables et les technologies propres.

«C'est avec un soupir de soulagement que nous avons appris cette nouvelle», a indiqué le directeur d'Équiterre, Steven Guilbeault.

«Anticosti est un joyau, un endroit digne de faire partie du patrimoine mondial de l'UNESCO. Permettre à des pétrolières d'aller y puiser des millions de litres d'eau, d'y creuser des milliers de puits de pétrole, d'y injecter des substances chimiques dans son sol aurait été une très grave erreur. (...) Les risques dépassaient de beaucoup les bénéfices potentiels», a-t-il ajouté.

Du côté politique, le Parti québécois et Québec solidaire ont également salué la décision, tout en maintenant un discours critique à l'endroit du gouvernement libéral.

«Philippe Couillard a laissé planer l'incertitude pendant trop longtemps avec Anticosti. (...) Nous nous réjouissons que le gouvernement se range à nos arguments et entende enfin raison», a déclaré le porte-parole péquiste en matière d'énergie et de ressources naturelles, Sylvain Rochon, par voie de communiqué.

M. Rochon n'a cependant pas manqué de rappeler que le gouvernement libéral a aussi «adopté, sous bâillon, une loi qui ouvre la porte à l'exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent» et qu'il a également «refusé la protection des baies gaspésiennes dans sa loi sur les hydrocarbures».

«C'est la voix de la raison qui s'impose au plus irresponsable des gouvernements», a pour sa part déclaré le député solidaire Amir Khadir en entrevue avec La Presse canadienne.

M. Khadir a cependant blâmé à la fois les gouvernements péquiste de Pauline Marois et libéral de Philippe Couillard, leur reprochant tous deux de «chercher, par tous les moyens, à développer la filière pétrolière sous l'influence de divers lobbys avec des visions un peu différentes sur les stratégies», les qualifiant tous deux de «gouvernements pétroliers».

Un son de cloche tout à fait opposé est venu de l'Institut économique de Montréal (IEDM), qui adresse un double reproche au gouvernement Couillard.

D'une part, l'Institut y voit une décision qui «freine le développement économique et envoie un signal négatif aux investisseurs».

Dans son communiqué, l'IEDM dit trouver «paradoxal» qu'avec les compensations aux entreprises, le gouvernement se trouve à payer «avec nos impôts, pour empêcher la création d'emplois au Québec».

La Coalition avenir Québec (CAQ) reprend essentiellement le même propos, sa porte-parole en matière d'énergie, Chantal Soucy, déplorant que l'on ait mis fin aux travaux «sans connaître le potentiel pétrolier et gazier de l'île».

Dans un communiqué diffusé vendredi, Mme Soucy souligne que, «lorsque les Québécois vont revenir de leurs vacances, ils auront tous une facture».

Un joyau à polir

John Pineault place la désignation de l'île comme joyau du patrimoine mondial par l'UNESCO au sommet de ses priorités et la décision de Québec devrait faire boule de neige, selon lui. «Ça envoie un message extrêmement fort au gouvernement fédéral parce que ça dit que Québec prend très au sérieux la candidature d'Anticosti.»

L'objectif, à terme, est de faire de l'île une destination prisée, mais déjà, tout le battage médiatique a eu ses effets, précise le maire Pineault. «Le nombre de touristes au mois de juin a triplé par rapport à l'année passée. Ce n'est pas pour rien qu'on veut continuer ce genre de développement et il y aura des emplois là-dedans.»

Un des dossiers majeurs pour soutenir ce développement est une revendication traditionnelle des insulaires, soit l'établissement d'un lien par traversier.

«C'est bien beau d'avoir un parc génial, mais quand ça coûte une fortune se rendre à l'île, ça ne peut pas fonctionner», a fait valoir le maire.

Sentier pédestre de 575 km

Peu de gens ont conscience de l'étendue de l'île d'Anticosti, qui présente 575 kilomètres de côtes et couvre une superficie de 8000 kilomètres carrés de nature sauvage.

«C'est aussi grand que la Corse!», s'est exclamé John Pineault, qui veut attirer une clientèle touristique beaucoup plus large que les chasseurs fortunés avec un attrait unique: un sentier de randonnée pédestre qui fera le tour de l'île et pour lequel les travaux commencent dès cette année.

«C'est une activité extrêmement populaire qui va rendre l'île plus accessible à des gens qui ont moins de moyens.»

Il demande également au gouvernement Couillard de régler le problème de l'eau potable qui perdure depuis une douzaine d'années à Port-Menier, où un investissement de 4 millions serait requis pour permettre la microfiltration de l'eau des puits artésiens, affectés par des infiltrations de sol friable.