Le Directeur général des élections (DGEQ) remet en question le statut légal particulier qui permet aux Îles-de-la-Madeleine d'être représentées par un député même si leur population est largement inférieure aux autres circonscriptions. Il recommande aussi une série de changements pour éviter une controverse comme celle qui a suivi la disparition annoncée -puis annulée- du siège de Manon Massé.

SOUS LE RADAR

La Commission de la représentation électorale est composée de trois experts, dont le DGEQ Pierre Reid. C'est ce groupe qui a piloté la refonte de la carte électorale qui a fait grand bruit ce printemps. Son rapport final est passé relativement inaperçu lorsqu'il a été déposé à l'Assemblée nationale, il y a une dizaine de jours. Or, il contient une série de recommandations pour améliorer la représentativité électorale, dont l'une fait déjà controverse.

UN STATUT EXCEPTIONNEL

Îles-de-la-Madeleine est la seule circonscription au Québec dont les limites sont enchâssées dans la loi. Le gouvernement lui a accordé ce statut unique en 1895. À cette époque, des résidants avaient signé une pétition pour demander à être séparés de la circonscription de Gaspé. Aujourd'hui, le DGEQ reconnaît un « statut d'exception » à six autres circonscriptions en région, soit Abitibi-Est, Abitibi-Ouest, Bonaventure, Gaspé, René-Lévesque et Ungava. Cette désignation leur permet de conserver leurs limites même si elles comptent nettement moins d'habitants que la moyenne. Mais contrairement aux Îles, elles ne jouissent pas d'un statut protégé par la loi.

UNE NOUVELLE RÉALITÉ

Aujourd'hui, les Îles sont desservies par des liaisons aériennes et des traversiers. On y comptait 10 767 électeurs en 2014, presque cinq fois moins que la circonscription moyenne. Le DGEQ estime que « les réalités qui ont justifié le statut exceptionnel de la circonscription électorale des Îles-de-la-Madeleine en 1895 ont changé et qu'elles sont différentes de celles qui prévalent maintenant ». Il invite le gouvernement à « se pencher sur la question du statut particulier de cette circonscription ».

UNE CIRCONSCRIPTION « UNIQUE »

Cette recommandation ne passe pas comme une lettre à la poste aux Îles-de-la-Madeleine. Le député libéral qui représente la circonscription, Germain Chevarie, fait valoir que la région est « unique ». Elle est située en pleine mer, elle est densément peuplée, son économie est distincte et ses citoyens ont des besoins particuliers en raison de leur éloignement. « Le DGEQ a une très mauvaise lecture, s'il veut aider les Îles, de penser qu'il devrait réaménager la circonscription en la fusionnant à une autre », estime M. Chevarie. Il souligne que d'autres îles, comme la Sardaigne, Madère ou Saint-Pierre-et-Miquelon, jouissent d'un statut politique distinct dans leurs pays respectifs.

LA MINISTRE NE FERME PAS LA PORTE

La ministre responsable des Institutions démocratiques, Rita de Santis, trouve « étonnant » que le DGEQ remette en cause le statut des Îles-de-la-Madeleine. Elle ne ferme pas la porte à une discussion sur le sujet, mais elle est favorable à ce que des circonscriptions conservent un statut d'exception. Faute de quoi, dit-elle, les citoyens qui habitent les circonscriptions les plus étendues ne seront pas représentés adéquatement à l'Assemblée nationale. « En tant que députée, je représente les gens qui habitent dans ma circonscription, note-t-elle. Si ma circonscription est d'une taille telle que je n'aurai jamais la chance de rencontrer mes électeurs, je ne peux pas les représenter effectivement. »

LE MAIRE PAS INQUIET

Les recommandations du DGEQ n'inquiètent pas le maire de la municipalité des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre. Il rappelle que l'an dernier, le gouvernement Couillard a adopté un décret qui confirme le « caractère insulaire » de l'archipel. Cette mesure engage Québec à tenir compte de la spécificité de la région dans l'élaboration de ses politiques. « Il y aurait une incohérence totale et complète si le gouvernement venait à accepter la recommandation du DGEQ », a indiqué M. Lapierre.

UN EXERCICE

La refonte de la carte électorale est un exercice périlleux. En 2010, le gouvernement Charest a réagi avec colère devant la nouvelle carte électorale qui abolissait trois circonscriptions en région. Le dernier exercice qui s'est terminé au printemps a donné lieu à une nouvelle controverse. La Commission avait d'abord envisagé la fusion des sièges de Mont-Royal et d'Outremont. Elle avait changé d'idée et annoncé la disparition de Sainte-Marie-Saint-Jacques, le siège de la députée solidaire Manon Massé. Puis, faisant face à un tollé, elle s'est rabattue sur son plan initial. Cette deuxième volte-face n'a pas mis fin à la controverse, puisque des citoyens se sont adressés aux tribunaux pour contester la refonte de la carte électorale.

PLUS DE CONSULTATIONS PUBLIQUES

Pour éviter une nouvelle controverse la prochaine fois, le rapport propose de réviser la Loi électorale. Celle-ci prévoit une consultation publique après le dépôt de la première mouture d'une nouvelle carte électorale, mais pas après le dévoilement de la version révisée. Manon Massé avait argué que cette façon de faire brime le droit des citoyens de s'exprimer sur des changements touchant leur circonscription électorale. La Commission dit avoir « entendu les critiques ». Elle recommande que le gouvernement change la loi pour allonger la période de consultations. Elle souhaite aussi pouvoir tenir plus d'audiences publiques si elle le juge nécessaire.

10 767: nombre d'électeurs de la circonscription des Îles-de-la-Madeleine en 2014