Le commissaire de l'Unité permanente anticorruption Robert Lafrenière en fait une question personnelle: il veut coincer le «bandit» qui a révélé des éléments névralgiques de l'enquête Mâchurer, des documents montrant qu'on surveillait l'ancien premier ministre Jean Charest et l'argentier libéral Marc Bibeau.

La commission parlementaire où témoignaient l'UPAC et la SQ a éclipsé jeudi les autres travaux de l'Assemblée nationale. Le commissaire Lafrenière a soutenu solennellement que son organisation n'avait pas de contact avec le cabinet du premier ministre, ou même un autre membre du conseil exécutif. Deux seuls échanges avaient eu lieu en tout début de mandat en 2014, entre le commissaire et le chef de cabinet, Jean-Louis Dufresne, portant sur des questions administratives - la formation des chefs de cabinet et l'habilitation sécuritaire des membres du conseil des ministres. Le député péquiste Pascal Bérubé a rappelé au commissaire qu'il avait fait une conférence de presse avec le ministre Martin Coiteux toutefois.

«En six ans, il n'y a eu aucune une tentative d'influencer le cours d'une enquête. Imaginez le risque pour un politicien, un membre de cabinet qui téléphonerait a l'UPAC, ce serait catastrophique pour lui, tout se sait. Je n'ai jamais eu de tentative d'intervention dans mes enquêtes», a soutenu M. Lafenière.

Venu assister aux échanges, avec Ken Peireira et Luigi Coretti, Lino Zambito restait sceptique après ces échanges. «Ils répondent comme des bons politiciens. J'ai un goût amer quant aux relations entre le bureau du premier ministre et M. Lafrenière. J'ai été rencontré en juin dernier par deux enquêteurs qui s'intéressaient aux liens entre M. Lafrenière et le bureau du premier ministre, on n'a pas eu la vérité encore», a-t-il maintenu.

La fuite percutante des éléments de Mâchurer, il y a deux semaines, a mobilisé une bonne part du témoignage du commissaire Lafrenière. Le responsable de la fuite «pensait nous déstabiliser, il nous a seulement distrait», a souligné le policier convaincu que l'enquête Mâchurer, qu'il avait lui-même initiée, ira jusqu'au bout.

Les médias de Québecor révélaient il y a deux semaines une série de documents extrêmement sensibles, les passages à la frontière de MM Charest et Bibeau, leurs fiches signalétiques, des documents clairement préparés par l'UPAC. «J'étais outré, on a travaillé depuis six ans, une telle fuite est inadmissible», a lancé M. Lafrenière. Les enquêteurs au dossier ont spontanément demandé de se soumettre au polygraphe pour démontrer leur probité. Il y avait environ 100 personnes susceptibles d'avoir accès à de telles informations. La première réaction a été d'ériger des coupe-feu entre les diverses escouades - jusqu'ici on pouvait consulter les informations recueillies par un autre groupe, désormais il faudra l'autorisation d'un gestionnaire.

M. Lafrenière n'écarte pas l'hypothèse que son organisation ait été frappée par un pirate informatique. Cette fuite est «un geste d'une déloyauté totale, aucune raison ne peut justifier ca». «Celui qui a fait la fuite n'a pas gagné. Cette enquête la va se rendre à sa conclusion. Les cibles n'ont pas changé... Je souhaite qu'on trouve le bandit qui a fait ça», a martelé le commissaire.

Mais tant du côté de la CAQ que du PQ, on s'est interrogé sur l'efficacité de l'UPAC. Pour André Spénard, caquiste de Beauce-Nord, le «bilan assez faible depuis 11 mois, seulement 6 individus accusés au criminels. Or on a 285 personnes à l'UPAC avec un budget de 39 millions. On a une obligation de résultat dans un laps de temps raisonnable. On peut comprendre que les enquêtes soient longues, mais a un moment donné on peut se demander: cela fait-il la job?», a déclaré le député.

Pour M. Lafrenière, l'UPAC ne doit pas se lancer dans des concours de «vitesse». Les preuves sont longues à constituer, des perquisitions peuvent servir à «cristalliser» des constats qui ne serviront que des années plus tard. On est sur le point de «mettre des bracelets (arrêter)» a un individu au terme d'une enquête entamée il y a neuf ans, a indiqué M. Lafrenière.

Lino Zambito, témoin vedette de la Commission Charbonneau, a soutenu clairement mettre en doute la bonne foi du commissaire. Il souligne avoir rencontré les enquêteurs de l'UPAC à 35 reprises au cours des derniers mois. Il ne met nullement en cause leur travail, mais il dit ne plus faire confiance à leurs supérieurs, et plus précisément à Robert Lafrenière. «Les dossiers sont étoffés, a dit M. Zambito. Le problème que moi je vois, c'est que quand les dossiers sont terminés et vient le temps que la haute direction les envoie aux Directeur des poursuites criminelles et pénales, on s'accroche les pieds. C'est long.»

Tant M. Lafrenière que le directeur général de la Sûreté du Québec Martin Prud'homme ont souligné ne rien savoir des allégations du président du syndicat des policiers du SPVM, Yves Francoeur, sur le cas de deux élus libéraux pour lesquels des accusations de fraude n'avaient jamais abouti.

Plus encore, M. Prud'homme a soutenu ne pas connaître l'immunité «politique» auquel un enquêteur de la SQ, Patrick Duclos aurait fait allusion dans le traitement de l'écoute électronique. L'écoute touchant des avocats ou des notaires est répertoriée dans un dossier différent, convient M. Prud'homme. Quant à l'écoute visant un élu, et plus récemment d'un journaliste, elle doit être autorisée au préalable par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, a-t-il expliqué.

- Avec la collaboration de Martin Croteau et Tommy Chouinard