L'ancien premier ministre Jean Charest a réaffirmé son «innocence face aux allégations qui circulent» dans un bref communiqué diffusé mardi soir. L'ex-politicien et Marc Bibeau sont visés par une enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) sur le financement politique et l'octroi de contrats publics.

Jean Charest a indiqué mardi soir prendre acte de la «déclaration du Directeur des poursuites criminelles et pénales à l'effet qu' "aucun dossier ne lui a été transmis"». Il ne fera d'ailleurs «aucun autre commentaire».

L'UPAC a déclenché mardi une enquête interne afin d'identifier l'origine de la fuite de matériel policier confidentiel sur le financement de Parti libéral du Québec. Une fuite qui, selon le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux, risque de faire dérailler le travail des policiers et potentiellement des procureurs.

Le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, a annoncé une enquête interne vers 16h mardi. «Il n'est pas dans l'intérêt commun que des documents et des contenus d'enquête soient étalés sur la place publique. Cette divulgation pourrait être lourde de conséquences alors que les enquêteurs de l'UPAC sont maintenant soumis à des pressions inutiles qui pourraient entraver leur travail», a-t-il souligné.

«L'enquête Mâchurer se poursuit et elle sera soumise au Directeur des poursuites criminelles et pénales lorsque tous les éléments de preuves seront amassés et analysés, et que l'enquête sera entièrement complétée», a conclu le commissaire.

Les médias de Québecor ont révélé lundi que l'UPAC a scruté à la loupe les voyages de Jean Charest et aurait même projeté d'intercepter ses conversations. M. Charest et M. Bibeau auraient fait l'objet d'une surveillance policière au moins jusqu'en 2016. Des documents ont été diffusés pour démontrer les démarches de l'UPAC dans le cadre de l'enquête Machûrer, entamée il y a plusieurs années pour faire la lumière sur des allégations de financement illégal du PLQ auprès de firmes de génie, d'entrepreneurs en construction et de cabinets d'avocats. Cette enquête est toujours active.

«Mon inquiétude, ce n'est pas pour un parti politique, c'est pour l'intégrité de l'ensemble de ce système» de justice, a réagi Martin Coiteux lors d'une mêlée de presse mardi. «Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est qu'il y a peut-être quelqu'un qui a décidé de couler des choses. Et ça, ça peut faire deux choses (...) : ça peut contaminer une preuve éventuelle et ça peut faire en sorte qu'on ne puisse pas ultimement aller jusqu'au bout d'une affaire en justice. Ça me préoccupe comme ministre de la Sécurité publique indépendamment de la personne qui serait visée et peu importe si cette personne a été en politique et peu importe le parti.»

Il n'a pas discuté avec le patron de l'UPAC, Robert Lafrenière. Il est «certain» que M. Lafrenière a «les mêmes préoccupations» que lui au sujet de l'étanchéité de l'enquête.

«Si une personne a décidé de passer outre son serment d'allégeance (...), cette personne aurait commis un geste grave. Elle doit se regarder dans le miroir», a-t-il affirmé.

De son côté, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, croit que la fuite trouve sa source dans le mécontentement des enquêteurs, dont «les preuves qu'ils accumulent ne débouchent pas sur des accusations». 

«Nous en sommes à être extrêmement frustrés que ça n'a jamais l'air d'aboutir, a-t-il affirmé en conférence de presse. Depuis un certain temps se pose la question de l'immunité libérale dans notre système de justice. (...) Est-ce qu'il y a un système qui fait en sorte que la plus grande enquête de corruption de l'histoire politique du Québec n'arrive jamais à aboutir à la tête du réseau?»

Il demande au premier ministre Philippe Couillard de faire «toute la lumière» dans ce dossier. Il réclame que le Directeur des poursuites criminelles et pénales et l'UPAC soient entendus en commission parlementaire, ce que le gouvernement a refusé jusqu'ici. «Puisque personne ne semble avoir le droit de poser des questions à Marc Bibeau et à Jean Charest, bien, nous, on aimerait les avoir en commission parlementaire, leur faire prêter serment et poser les questions que les Québécois veulent poser depuis des années», a-t-il ajouté.

Philippe Couillard a rejeté cette demande lors de la période des questions à l'Assemblée nationale. Il n'est pas question d'instituer des «pseudos tribunaux parlementaires», a-t-il dit. M. Couillard, qui fut ministre sous Jean Charest, martèle que les allégations ne visent pas sa propre administration. «Le chef du PQ ne m'attirera pas dans le passé. Je vais le laisser faire sa pièce de théâtre, son cinéma. Je ne serai pas un acteur dans son film», a-t-il lancé.

Pour le député de Québec solidaire, Amir Khadir, «ça fait très longtemps» qu'on attend les conclusions de l'enquête sur le financement du PLQ. Ce délai montre selon lui que «les hommes et les femmes de pouvoir tels que M. Charest jouissent d'un certain niveau d'impunité et de protection».

La Coalition avenir Québec demande quant à elle au gouvernement de rendre public tous les contrats et les baux liant l'État aux entreprises de M. Bibeau. «Les citoyens ont le droit de savoir. Ce sont eux qui paient. Dans le cas contraire, bien, nous seront obligés de conclure que le premier ministre continue de protéger les petits amis du Parti libéral. (...) On sait que M. Couillard voulait se dissocier de l'ère Charest. Il a les deux pieds dedans», a affirmé la députée Nathalie Roy.