La Commission des transports du Québec (CTQ) se retrouve dans la curieuse position de devoir décider de la légalité de sa propre décision d'octroyer un permis d'intermédiaire de taxi à Uber pour son projet pilote d'un an.

Les représentants de l'industrie du taxi s'y sont présentés vendredi pour demander une révision de la décision d'octroyer le permis à la multinationale, le 21 octobre dernier.

L'avocat représentant l'industrie, Me Claude Coursol, a soutenu devant la Commission que celle-ci n'avait pas le droit d'émettre ce permis parce qu'elle n'a pas respecté ses propres règles de procédure.

Selon la preuve présentée par Me Coursol, Uber a présenté une nouvelle demande de permis le 21 octobre, soit le lendemain de la modification par le ministre des Transports, Laurent Lessard, de la réglementation de la loi sur le taxi afin de permettre le projet pilote d'Uber.

La demande a été approuvée dans les heures suivantes par une employée de la CTQ, Patricia Caron, bien que cette dernière ne soit pas commissaire. Les règles de la Commission prévoient qu'une «personne désignée» peut rendre une décision lorsqu'une demande a été publiée par la CTQ et qu'elle n'a soulevé aucune opposition.

Or, cette demande n'a pas été rendue publique avant que la décision soit rendue, comme le prévoit la procédure, de sorte que les opposants n'ont jamais eu la possibilité de se manifester. Selon Me Coursol, l'industrie a ainsi été placée devant un fait accompli après une décision prise dans le plus grand secret, d'où la demande de révision.

«Mes clients étaient en droit de s'attendre à être informés du dépôt de cette demande», a fait valoir l'avocat.

Par ailleurs, dans le cours de ses représentations, Me Coursol a soulevé une anomalie dans l'octroi du permis, soutenant que celui-ci avait été illégalement octroyé à un prête-nom, en l'occurrence Uber Canada inc., puisque les documents de soutien à la demande de la multinationale démontent que toutes les activités sont dirigées et menées par d'autres entités, soit Uber BV et Raiser BV.

Il a également fait état à plusieurs reprises du fait que la CTQ a dérogé à ses précédents, à savoir qu'elle n'avait jamais auparavant octroyé de permis à «une partie qui a fait la démonstration d'infractions à la Loi» sur le taxi. Il a appuyé cette affirmation sur un jugement rendu en mai dernier dans lequel le juge Guy Cournoyer avait indiqué qu'Uber agissait en intermédiaire en services de transport par taxi sans détenir de permis.

«Il y a eu dérapage dans ce dossier», a conclu Me Coursol.

Uber invoque l'urgence

L'avocat représentant la multinationale, Me Nicolas Cloutier, a établi l'ensemble de son argumentaire sur le texte du décret du ministre Lessard.

Il a ainsi noté que ce décret avait expressément suspendu le délai habituel de publication de 45 jours et le délai de 15 jours associé à la modification d'un règlement au motif que «l'urgence de la situation» l'imposait.

Le décret prévoyait en effet que les modifications au règlement qui permettaient l'implantation du projet pilote entraient en vigueur au moment de la publication du règlement.

Selon Me Cloutier, les personnes intéressées avaient pu soumettre leurs observations au moment du dépôt de la première demande de permis d'Uber, en septembre, et, surtout, la durée du projet pilote était d'un an, se terminant le 14 octobre 2017.

Me Cloutier a par ailleurs invoqué la notion de «pouvoir lié» pour soutenir que le décret enjoignait la CTQ à délivrer le permis immédiatement s'il remplissait les conditions édictées par le texte du ministre et que, dès lors, la Commission ne pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire.

«La Commission avait les mains liées et devait délivrer le permis immédiatement», a soutenu l'avocat, ajoutant que «la CTQ ne pouvait pas et ne devait pas entendre les observations» des opposants.

Il a aussi affirmé qu'un pouvoir lié pouvait bel et bien être délégué à une employée, comme ce fut le cas dans ce dossier, et qu'il n'y avait rien là qui contrevienne aux procédures de la Commission puisque ces procédures ne s'appliquaient pas.

Quant à l'accusation qu'Uber Canada inc. n'est qu'un prête-nom pour d'autres entités en vertu de son contrat avec ses chauffeurs, le juriste l'a balayée du revers de la main: «Il n'y a rien de sinistre dans ce contrat-là. C'est un contrat standard.»

Bien qu'Uber soit d'avis que la requête de l'industrie doive être rejetée, son avocat a tout de même pris soin de présenter sa propre requête pour réclamer que la décision de la Commission soit maintenue pendant la procédure de publication et de manifestation d'opposition, si jamais l'industrie obtenait gain de cause.

Un premier avis en faveur d'Uber

Les prétentions d'Uber ont reçu un appui de l'avocate de la Commission, Me Anne-Marie Gaudreau, qui, agissant à titre d'«amie de la Cour», a dit croire que le droit habituel n'était pas applicable dans cette cause puisque le décret autorisant le projet pilote donnait des droits au ministre.

Me Gaudreau a indiqué que, selon son évaluation préliminaire, le ministre pouvait ainsi édicter des règles différentes face auxquelles la Commission n'avait pas de pouvoir discrétionnaire.

Selon elle, la CTQ «n'avait pas d'autre choix que d'émettre un permis».

Anne-Marie Gaudreau a fait valoir que si la Commission des transports suspendait sa décision d'émettre le permis, cela «aurait pour effet de suspendre la loi adoptée par le Parlement».

Les trois commissaires qui ont entendu les parties, vendredi, ont pris la cause en délibéré sans préciser à quelle date ils allaient rendre une décision.