Pendant plusieurs jours avant de passer dans le camp libéral, Yan Plante a transféré des dizaines de documents stratégiques de la Coalition avenir Québec à son adresse courriel personnelle - le plan d'action du parti de François Legault, des informations sur l'effectif et les finances de son ancien employeur notamment.

Plante s'est aussi transféré un courriel de François Legault qui, le 21 juin dernier, lui souhaitait bon anniversaire, indique une liste des documents copiés par M. Plante, obtenue par La Presse. Il a aussi envoyé, à son adresse Hotmail, une lettre confidentielle du Directeur général des élections sur les contributions illégales versées à l'ex-ADQ, et qui exige un remboursement de la CAQ.

La CAQ s'est adressée à deux reprises à la Sûreté du Québec et, depuis une première défection de Frédéric Schautaud il y a deux semaines, a eu accès aux courriels de ces deux employés sur le serveur de l'Assemblée nationale. On y constate qu'avant de quitter la CAQ, M. Plante, un ancien conservateur à Ottawa, avait demandé l'opinion de Mario Lavoie, ex-collaborateur de Jean Charest qui avait travaillé longtemps chez les conservateurs sous Brian Mulroney. Les deux hommes ont eu peine à se joindre durant leurs vacances respectives, « quand on s'est parlé, Yan avait déjà pris sa décision », a expliqué Mario Lavoie, joint hier par La Presse.

La Coalition avenir Québec a transmis tôt hier matin deux mises en demeure au cabinet de Philippe Couillard à la suite de ce « vol » de documents commis par cet ancien conseiller stratégique de François Legault. « M. Couillard cautionne ces gestes, il est toujours en retard sur les enjeux éthiques. Assez, c'est assez de la magouille libérale », a observé le chef caquiste François Legault. On lui a recommandé de ne pas parler de vol.

 « Pour des raisons juridiques, on m'a dit d'éviter ce mot [vol]. Mais cela ressemble bien à une vache... qui a quatre pattes », a déclaré François Legault, chef de la CAQ.

En point de presse hier, le député caquiste de Borduas, Simon Jolin-Barrette, a indiqué que Yan Plante et le chef de cabinet de M. Couillard, Jean-Louis Dufresne, s'exposaient à des recours juridiques s'ils faisaient fi des mises en demeure, qui exigent des déclarations sous serment sur l'utilisation qui a été faite de ces documents. M. Legault a souligné que son parti s'était adressé à la SQ à deux reprises déjà sur ces transfuges, et envisageait de le faire une troisième fois.

« De la diversion », dit Couillard

Pour le premier ministre Couillard, « M. Legault, de toute évidence, fait de la diversion parce qu'il ne veut pas se poser la vraie question : pourquoi tant de gens quittent la CAQ, le quittent ? Je vais lui suggérer une réponse : parce que des gens qui croient à la fois au Québec et au Canada ne se sentent pas chez eux à la CAQ, ne sont pas bienvenus à la CAQ, et c'est ce qui est en train de se produire. Il est à mon cabinet, il a été recruté pour son talent, son expertise, et bien sûr, on est très contents de l'avoir avec nous », a dit M. Couillard. En Chambre, le leader parlementaire Jean-Marc Founier a manié l'ironie : « Je ne suis pas sûr que les documents stratégiques de la CAQ nous intéressent beaucoup ! », a-t-il lancé.

Les mises en demeure visent Yan Plante et le chef de cabinet de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne. On demande que les documents soient détruits et que les deux personnes visées fassent une déclaration sous serment pour garantir que ces informations ne seront pas utilisées.

Cette affaire est une réplique à un niveau plus élevé d'une autre affaire de transfert d'information. En effet, un recherchiste de la CAQ avait travaillé pour la ministre de l'Économie, Dominique Anglade, en se servant d'une recherche payée par la CAQ sur Investissement Québec. Le recherchiste, Frédéric Schautaud, n'avait finalement pas été embauché, mais Philippe Couillard avait encore là minimisé la gravité de son larcin.

- Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

De l'information ne peut pas être l'objet d'un vol, dit un expert

La transmission de documents numériques par courriel n'est pas considérée comme un vol en vertu du Code criminel, puisque ce ne sont pas des « objets tangibles comme un document ou une lettre », explique Me Walid Hijazi, avocat criminaliste et chargé de cours en cybercriminalité à Polytechnique Montréal. « On ne vole pas de l'information. L'information, c'est un bien intangible. Le propriétaire n'a pas été frustré de la possession de l'information, de son droit de propriété sur le bien. Il n'a rien perdu », précise-t-il, sans se prononcer spécifiquement sur le cas de Yan Plante. Toutefois, les tribunaux sanctionnent sévèrement l'utilisation non autorisée d'un ordinateur, un « crime objectivement très grave » passible de 10 ans d'emprisonnement, note-t-il. « L'information n'est pas un bien tangible qui peut être volé, mais le support peut être frauduleusement manipulé. Encore une fois, on ne connaît pas la portée des permissions de l'usage habituel de l'employé. Mais s'il s'en est servi sans apparence de droit et frauduleusement, c'est une utilisation non autorisée de l'ordinateur. Ce n'est pas un crime banal », soutient Me Walid Hijazi.

- Louis-Samuel Perron, La Presse