Des cerveaux... mais pas de stratégie pour en tirer le plein potentiel. Voilà la situation du Québec aux yeux de Frédéric Bouchard, nouveau président de l'Association francophone pour le savoir. L'homme estime que le gouvernement Couillard a créé un « vide » en ne déployant aucune politique globale sur la recherche et l'innovation, ce qui mine la capacité du Québec à trouver des solutions à ses problèmes. Rencontre avec un philosophe qui crie à l'urgence.

« À Ottawa, on reçoit des signaux que le gouvernement veut redresser la barre dans le financement de la recherche et de l'innovation. On attend des signaux du même genre de Québec. »

Le ton est donné. Frédéric Bouchard, un philosophe de formation, a pris les rênes de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS) en décembre dernier. En entrevue avec La Presse, il a martelé un message clair : le Québec doit se doter d'une stratégie globale sur la recherche et l'innovation.

Ces stratégies sont quasiment une tradition au Québec. Au fil des ans, elles se sont appelées PQSI (Politique québécoise de la science et de l'innovation), SQRI (Stratégie québécoise de la recherche et de l'innovation) ou PNRI (Politique nationale de la recherche et de l'innovation).

La dernière PNRI, pondue par le Parti québécois, devait couvrir la période 2014-2019 et prévoyait des investissements de 3,7 milliards. Mais le gouvernement Couillard l'a mise au rencart à son arrivée au pouvoir. Depuis, aucune stratégie équivalente n'a été proposée.

« C'est extrêmement préoccupant. Il y a un vide actuellement. Et pendant ce vide, il y a des centaines de millions de dollars - et je n'exagère pas - qui se trouvent à Ottawa, aux États-Unis, en Europe, qu'on pourrait attirer ici, mais qu'on laisse sur la table », explique Frédéric Bouchard.

« Chaque délai, chaque silence face à l'absence de stratégie globale, ce sont des opportunités manquées. Et c'est frustrant », continue-t-il.

La ministre de l'Économie, de la Science et de l'Innovation, Dominique Anglade, a déposé à la mi-avril un plan de 500 millions visant à relancer l'innovation dans le secteur manufacturier. Une stratégie numérique est prévue sous peu. M. Bouchard n'est pas contre ces interventions ciblées. Mais il les juge « insuffisantes ».

« Les programmes sectoriels ne sont pas mauvais, mais ils ne se concentrent que sur un morceau du puzzle. Ce n'est pas avec ça qu'on va combler les lacunes du Québec. Lorsqu'on fait de tels programmes, on n'a pas la vue d'ensemble qui permet de stimuler la recherche et l'innovation dans tous les secteurs et dans toutes les régions du Québec. »

Selon lui, une stratégie globale est nécessaire parce que la véritable innovation naît « aux carrefours » des disciplines. Il plaide donc pour une vision d'ensemble qui tisserait des liens entre les universités, les entreprises, les ONG, les sociétés d'État.

« Les pays qui fonctionnent bien en innovation - la Finlande, Israël, la Corée du Sud - font exactement ça. Pendant qu'eux avancent, nous, on recule. »

Le Québec vise à investir 3 % de son PIB en recherche et développement. Or, ce niveau est passé de 2,72 % en 2006 à 2,32 % en 2013.

Ces chiffres s'expliquent notamment par le fait qu'historiquement, les entreprises québécoises investissent peu en recherche et développement.

« Dans le passé, les universités compensaient ça. Sauf que, depuis une dizaine d'années, autant à Québec qu'à Ottawa, on a fragilisé la recherche universitaire », dit M. Bouchard.

Il constate que tout le monde se dit pour l'innovation.

« Ce qui manque, c'est la réalisation de l'urgence. »

Urgence, d'abord, parce que l'innovation stimule l'économie. Mais aussi, aux yeux de Frédéric Bouchard, parce qu'elle est nécessaire pour trouver des solutions aux problèmes de la société qui nous touchent déjà.

« On a de gros défis de société devant nous. Comment va-t-on adapter nos villes à la mobilité réduite provoquée par le vieillissement de la population ? Qu'est-ce qu'on va faire avec les débordements de nos rivières qu'amènent les changements climatiques ? Ces défis, on pourra les relever seulement si on développe notre capacité en recherche et en innovation. Parce que ce ne sont pas les chercheurs de Kyoto et de San Francisco qui vont résoudre les problèmes du Québec. »

Investissements en recherche et développement (% du PIB)

• Corée du Sud : 4,29 %

• Israël : 4,11 %

• Japon : 3,58 %

• Allemagne : 2,84 %

• États-Unis : 2,74 %

Moyenne de l'OCDE : 2,37 %

Québec : 2,32 %

• France : 2,26 %

• Chine : 2,05 %

• Ontario : 2,03 %

• Royaume-Uni : 1,7 %

Canada : 1,61 %

Source : Institut de la statistique du Québec