À la suite d'une longue réflexion, le gouvernement Couillard présentera sous peu un règlement pour forcer les grandes surfaces à mettre du français sur leurs façades. Mais Québec fait le constat qu'il ne peut contraindre ces multinationales à ajouter un terme descriptif en français à leur marque de commerce en anglais.

Sans donner de détails, le premier ministre Philippe Couillard, dans son entrevue de mi-mandat à La Presse, avait fait allusion à une annonce prochaine du ministre responsable de la Charte de la langue française, Luc Fortin, dans ce dossier. Selon les informations obtenues depuis, Québec demandera aux grandes surfaces comme Walmart, Costco Wholesale ou Best Buy de prévoir de l'affichage en français sur leur façade.

Mais les avis juridiques de Québec concluent que le gouvernement ne peut forcer ces commerces à ajouter un terme descriptif en français à leur marque de commerce en anglais. Il y a un an, la ministre Hélène David avait jonglé avec cette idée, mais rien n'était sorti sur la place publique à cause des mises en garde juridiques.

Le règlement de Québec, qui sera prépublié pour 45 jours selon la procédure habituelle, suit une tournée de consultation faite par l'actuel ministre Luc Fortin à l'époque où il était secrétaire parlementaire de la ministre David. Après cette tournée auprès de ces grandes enseignes, on ne s'attend pas à des contestations devant les tribunaux, explique-t-on dans les coulisses.

Québec contre les «huit anglos»

Le gouvernement Couillard avait décidé l'an dernier de ne pas demander à la Cour suprême la permission d'en appeler d'un jugement défavorable de la Cour d'appel qui avait donné raison à un regroupement de huit multinationales qui voulaient protéger leur marque de commerce en anglais.

En avril 2015, cinq juges de la Cour d'appel avaient débouté Québec qui voulait voir invalider un verdict de la Cour supérieure d'avril 2014. La Cour d'appel maintenait la décision qui avait conclu que la Charte de la langue française n'autorisait pas l'Office québécois de la langue française (OQLF) à imposer le recours à un terme descriptif en français à des détaillants dont la marque de commerce est exclusivement en anglais. Les huit multinationales qui avaient eu gain de cause sont: Walmart, Costco, Best Buy, Curves, Guess, Gap, Old Navy et Toys «R» Us.

Commentant le verdict, Philippe Couillard, qui s'oppose toujours à ce qu'on resserre la Charte de la langue française, avait même envisagé de légiférer, d'amender la loi 101 pour corriger la situation. Les détaillants fautifs «n'ont pas eu la politesse élémentaire, vis-à-vis de leur clientèle, d'indiquer un petit rappel de leur connaissance de la réalité française du Québec», avait lancé M. Couillard à l'Assemblée nationale. Mais le gouvernement Couillard, pas plus que les gouvernements Bouchard ou Charest, n'entend pas rouvrir la loi 101.

Un débat qui perdure

Le débat autour des raisons sociales en anglais perdure depuis des décennies. Sous le gouvernement Bouchard, quand Louise Beaudoin était responsable de la Charte de la langue, le Conseil de la langue avait déjà produit un avis indiquant que le gouvernement ne pouvait modifier le nom des magasins d'une chaîne, si celui-ci était une marque de commerce enregistrée. Sous Jean Charest, sous Christine St-Pierre, on croyait que l'on pourrait imposer un qualificatif pour expliquer en français la vocation du commerce, la Quincaillerie Home Depot par exemple, mais les derniers avis indiquent plutôt qu'on ne peut même qualifier ces marques enregistrées. Certaines chaînes avaient volontairement emprunté cette voie d'un qualificatif en français pour leur raison sociale, les Cafés Second Cup, par exemple.

Le règlement n'aura pas le même effet partout; un Canadian Tire, par exemple, pourrait plaider qu'il affiche aussi en français ses départements de jardinage, son service d'entretien automobile ou ses articles de sport. La tâche sera plus difficile pour Costco Wholesale, dont la raison sociale est visible de loin sur plusieurs grandes artères au Québec.

L'affrontement en cour entre ces multinationales et Québec remonte à 2012. L'Office québécois de la langue française, cautionné par la ministre Christine St-Pierre, avait exigé formellement que plusieurs entreprises qui n'affichaient leur marque de commerce qu'en anglais y ajoutent un nom générique, comme «magasin». On se contentait même d'un slogan en français. Si elles ne se conformaient pas à la directive, les chaînes contrevenantes risquaient de perdre leur certificat de francisation et d'être mises à l'amende.

Par l'entremise du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), les détaillants visés avaient fait des démarches auprès du bureau du premier ministre Jean Charest, mais en vain. Le CCCD a obtenu un avis juridique du cabinet d'avocats Norton Rose qui soutenait que l'OQLF interprétait mal le Règlement sur la langue de commerce et des affaires. Ainsi, un détaillant peut afficher sa marque de commerce en anglais seulement; ce n'est que le nom de l'entreprise, souvent différent, qui doit être accompagné d'un terme descriptif en français, alléguaient les avocats des firmes. Certaines d'entre elles détenaient depuis une décennie leur certificat de francisation et l'OQLF ne leur avait jamais demandé de modifier leur marque de commerce. Or ni la loi ni le règlement n'avaient changé depuis.