Le nouveau ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, a ouvert la porte mardi à abandonner ou, à tout le moins, à réduire les pénalités financières contre les nouveaux demandeurs d'aide sociale qui refuseraient de participer à un programme d'intégration au travail. Sa sortie est survienue au moment où la Commission des droits de la personne a déclaré que la réforme de l'aide sociale contrevient à la Charte.

Déposé par le prédécesseur de M. Blais, Sam Hamad, le projet de loi 70 vise à obliger les nouveaux demandeurs d'aide sociale à participer à un programme d'intégration au travail appelé «Objectif emploi». Ce programme «peut prévoir que le participant est tenu d'accepter tout emploi convenable qui lui est offert»  et «de maintenir son lien d'emploi pour la durée de sa participation au programme », c'est-à-dire d'un an à deux ans, peut-on lire dans la pièce législative. Il aurait droit à une allocation spéciale. Mais les personnes qui refuseraient de participer au programme verraient leur prestation de base (623$ par mois) amputée jusqu'à la moitié. Ce serait le cas aussi pour celles qui ne respecteraient pas les engagements prévus au programme.

Québec n'exclut pas de mettre de côté cette pénalité. «Il y a une ouverture à ce sujet», a même déclaré M. Blais mardi, à l'entrée de la commission parlementaire qui procède à des consultations sur le projet de loi 70.

Il n'y aura «pas nécessairement» de pénalités finalement. «Ce qui est important pour moi, c'est de maintenir un incitant. Comme incitant, ça peut être un incitant financier positif», a-t-il ajouté, faisant allusion à l'allocation spéciale qui serait prévue au programme objectif emploi.

En soirée, le ministre a rappelé La Presse pour dire que, «pour le moment», il «maintient le cap» au sujet des pénalités.

Son attaché de presse a indiqué que le montant de la pénalité pourrait être réduit. Un flou persiste autour de cette question.

Le projet de loi ne précise pas ce qu'est un «emploi convenable». François Blais corrigera cette lacune. «Quand on parle d'emploi convenable, on parle d'emploi non dégradant. Ce sera précisé dans le projet de loi. C'est essentiellement des emplois qui respectent les normes minimales de travail. On est par exemple à des années-lumière de ce qu'on appelle le workfare, c'est-à-dire des emplois communautaires forcés, non rémunérés, et si vous ne les faites pas, vous perdez votre prestation. On n'est pas du tout là-dedans», a-t-il expliqué. Son commentaire n'est pas étranger à une sortie récente du PQ qui rappelait que M. Blais s'opposait aux mesures de type «workfare» au moment où il était professeur à l'Université Laval, au début des années 2000.

Pour répondre aux critiques des groupes sociaux, François Blais a également précisé que «d'aucune façon on ne pourra exiger d'un prestataire qu'il ait à déménager pour occuper un emploi».

«On ne va pas obliger les gens à faire ceci ou cela. On va définir avec eux un projet, mais il faut qu'il y en ait un projet attendons-nous bien», a-t-il dit.

Il amendera le projet de loi pour faire en sorte que le programme ne vise pas seulement l'intégration en emploi mais aussi le retour aux études.

«On a beaucoup parlé d'intégrer un emploi, mais c'est aussi acceptable d'avoir le projet de réintégrer les études. L'important, c'est que la personne ait un projet», a expliqué M. Blais. Il a également précisé que le programme aura de la souplesse. «On comprend très bien qu'un projet ne se définit pas dans une journée. Parfois ça peut prendre du temps parce qu'il y a des questions de santé, parfois il peut y avoir des questions de dépendance qu'il faut régler avant même l'idée de pouvoir entreprendre un projet scolaire ou de travail», a-t-il dit.

Un peu plus d'une heure après sa sortie devant des médias, la Commission des droits de la personne est venue témoigner devant la commission parlementaire pour condamner la réforme de l'aide sociale.

«Cette obligation d'accepter un emploi sous peine de sanction contrevient au droit à la liberté de sa personne reconnu à l'article premier de la charte», écrit la Commission dans son mémoire dont les parlementaires ont copie depuis un moment déjà.

Selon elle, le programme porte atteinte au droit

à l'égalité et au droit à un revenu décent également garantis par la Charte parce que cette réforme conditionne l'aide sociale pour les nouveaux demandeurs à la participation à un programme d'intégration à l'emploi.

L'article 45 de la Charte prévoit que «toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent». Or, selon la Commission, «le fait de conditionner ainsi l'octroi d'une aide financière de dernier recours, à laquelle les personne dans le besoin ont droit, à leur participation à des mesures d'aide à l'emploi revient à leur nier ce droit». «Le droit à des mesures d'assistance financière susceptibles d'assurer un niveau de vie décent ne peut être conditionné par la participation à un programme d'aide à l'emploi», insiste la Commission.

Elle ajoute que certaines exigences prévues au programme «sont susceptibles de compromettre les droits et les libertés de personnes». Il s'agit de l'obligation d'accepter un emploi convenable et de maintenir un lien d'emploi, de même que «l'exclusion des protections garanties en vertu du droit du travail». «Il y a fort à craindre que les participants au Programme objectif emploi, qui ne bénéficieraient éventuellement pas de la liberté d'association ni de le faculté de quitter leur emploi, ne puissent exercer leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables garanti par la Charte.»

La Commission est également «fort préoccupée de l'impact» qu'aurait ce nouveau programme car «une telle mesure est de nature à perpétuer la discrimination déjà vécue » par les assistés sociaux.

Elle recommande au gouvernement de revoir son projet de loi. «Je vais regarder ça avec intérêt. On va être très sensible à ça», a dit M. Blais au sujet des critiques de la Commission.