Les pieds dans le sable, en vacances en Jamaïque, début janvier, Philippe Couillard et Roberto Iglesias, le numéro un de la fonction publique, ont dû ricaner quand ils ont décidé d'envoyer Dominique Anglade à l'Économie.

Le toujours combatif François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, devra se garder une petite gêne avant d'attaquer l'ancienne présidente de son parti, longtemps une amie personnelle. Pierre Karl Péladeau va aussi baisser le volume. On n'attaque pas avec la même pugnacité une jeune députée. Il ne sera plus en face d'un vieux routier comme Jacques Daoust, un membre du boys club des affaires de Montréal.

On ne soupçonnait pas chez Philippe Couillard une telle audace : placer une néophyte, une ingénieure avant tout, au poste économique le plus stratégique. Mme Anglade a un MBA des HEC, une formation qui vise essentiellement à donner un survol des enjeux en affaires à des étudiants venus de divers horizons. Pour son premier « trio économique », rappelons-le, on avait choisi des valeurs sûres, trois vétérans du secteur des affaires : Carlos Leitao, Martin Coiteux et Jacques Daoust. Il ne fait guère de doute que Mme Anglade avait posé comme condition un poste au cabinet avant de sauter dans la barque libérale. Mais on peut penser que l'emploi offert aura largement dépassé ses attentes.

En fait, c'est toute l'opération d'hier qui est audacieuse. Pourquoi réparer quelque chose qui n'est pas cassé ? Les amateurs d'aphorismes seront consternés. Car le Parti québécois est en panne. Il a, selon le dernier sondage CROP, reculé de huit points dans les intentions de vote en deux mois. Pierre Karl Péladeau est constamment sur la sellette, et Philippe Couillard l'a clairement devancé comme « meilleur premier ministre ». C'est dans un contexte plutôt favorable à son parti que Philippe Couillard a tout de même décrété le « rebrassage » de cartes d'hier, un geste susceptible de braquer les feux de la rampe sur des ministres sans expérience.

Quasi à mi-mandat - 22 mois se sont écoulés depuis les dernières élections -, Philippe Couillard veut surtout donner l'impression d'un nouveau départ, d'une seconde vitesse après des mois d'austérité. « Nous avons passé le cap qui donne accès à des eaux plus tranquilles », disait-il hier. Dans l'immédiat, toutefois, avec l'économie qui bat de l'aile, la mer d'huile de Philippe Couillard reste aussi virtuelle que les « vallées verdoyantes » de Bernard Landry retrouvant le déficit zéro.

La vraie décision: l'éducation

Pour Couillard, des problèmes lancinants étaient évidents, et reporter à plus tard les solutions comportait des risques.

Au-delà du geste d'éclat que constitue la nomination de Dominique Anglade, la vraie décision du remaniement d'hier est la nomination de Pierre Moreau à l'Éducation.

On fait un triste sort à François Blais, qui aura eu moins d'un an pour s'illustrer à ce poste périlleux en période de compressions budgétaires. Blais, intellectuel, était bien trop nuancé pour la joute parlementaire. Ce sera autre chose avec Moreau, debater chevronné. Avec ses écoles délabrées, des enseignants épuisés, l'indigence du réseau de l'Éducation reste le problème le plus explosif, maintenant que Gaétan Barrette semble avoir stabilisé le patient à la Santé.

Moreau est clairement devenu le pompier en chef à Québec. Il a livré sans trop de controverse un pacte fiscal à long terme avec les municipalités et a repris, au pied levé, le ministère de Lise Thériault, épuisée. Claude Ryan, homme d'influence entre tous, cumulait précisément ces deux fonctions sous Robert Bourassa. Moreau aurait préféré, et de loin, demeurer à la Sécurité publique, mais il est bien difficile de refuser le rôle du sauveur.

Martin Coiteux lui succédera aux deux postes. Le président du Conseil du trésor voulait bouger, soucieux de se distancer de l'image de grippe-sous que lui a conférée la ronde de négociation avec le secteur public. Daoust aux Transports, Coiteux à un futur ministère « de l'Intérieur ». Il ne reste plus que Carlos Leitao comme représentant du « trio économique » qui avait été mis en vedette aux élections du printemps 2014.

Ouf !

Au-delà des grandes manoeuvres, bien des ministres hier ont dû pousser un soupir de soulagement. La rumeur publique prédisait une rétrogradation aux banquettes arrière à David Heurtel, à Jacques Daoust, souvent critiqués par leurs pairs en coulisse. On prédisait le même sort à Francine Charbonneau, responsable de la Famille. Tout ce monde hier conservait sa limousine. Bien sûr, Daoust perd en influence et Mme Charbonneau voit son mandat restreint aux seuls Aînés. Mais ils ont tous survécu.

Robert Poëti, qui, aux Transports, se débattait péniblement avec le dossier d'Uber X, n'a pas eu cette chance. Une exécution sommaire, en quatre petites minutes, sans occasion de plaider une défense, pour le dernier à passer au confessionnal tard mercredi soir.

Lise Thériault, absente pendant deux mois pour des raisons de santé, a reçu une ovation bien sentie à son retour, aux Petites et Moyennes Entreprises. Elle demeure vice-première ministre. Même réception chaleureuse quand l'ancien adéquiste Sébastien Proulx a prêté serment. Mais l'applaudimètre a sauté quand Luc Fortin de Sherbrooke a été assermenté. Les attachés politiques reconnaissaient en lui un des leurs, qui parvenait à entrer dans l'antichambre du pouvoir. Le même parcours qu'un autre attaché politique, devenu ministre, le jeune Claude Béchard disparu prématurément.

Photo Ivanoh Demers, archives La Presse

Lors de la dernière campagne électorale, Philippe Couillard avait présenté son premier « trio économique », composé de Jacques Daoust, Martin Coiteux et Carlos Leitao.