Même si la très grande majorité des réfugiés syriens attendus au Québec en 2015 et 2016 s'établiront dans la grande région de Montréal, plus d'un millier d'entre eux atterriront en région. Y resteront-ils? Rien n'est moins sûr, car la rétention des populations immigrantes hors des grands centres demeure un défi considérable.

C'est une réalité qui n'est que trop familière à Henry Mbatika. Arrivé de la République démocratique du Congo avec sa famille en 2000, ce père de cinq enfants - dont deux sont nés à Sherbrooke - est maintenant seul de son clan au Québec.

Victime d'une fermeture d'entreprise, sa femme n'arrivait plus à trouver du travail et est partie pour l'Alberta en 2012, où elle travaille dans une usine de PepsiCo, à Lethbridge. Les enfants l'ont suivie et le couple est maintenant écartelé entre les deux provinces.

«On est bien à Sherbrooke: il n'y a pas de racisme, les maisons sont plus abordables qu'à Montréal et il y a beaucoup d'espace», dit M. Mbatika, chargé de projet à la Fédération des communautés culturelles de l'Estrie et candidat défait à un poste de conseiller lors des élections municipales de 2013. «Le seul problème, c'est l'insertion socioprofessionnelle. C'est le travail.»

Les efforts de régionalisation de l'immigration ont cours au Québec depuis le début des années 90. Et ils ont eu jusqu'ici des résultats mitigés, dit Michèle Vatz-Laaroussi, professeure au département de travail social de l'Université de Sherbrooke et auteure de plusieurs études sur le sujet.

«L'attraction vers les régions, on l'a pas mal travaillée, et ce n'est pas si mal, dit-elle. Mais la rétention [des immigrants et réfugiés] reste difficile. Les Québécois eux-mêmes quittent les régions, alors pourquoi les immigrants y resteraient-ils?» La régionalisation, dit-elle, a souvent des airs de «banlieuisation», la couronne de Montréal attirant un nombre considérable de migrants.

L'Estrie passe pour une des régions qui réussit le mieux à intégrer les populations venues d'ailleurs. Et pourtant, elle est parvenue à retenir à peine 21% de ses nouveaux arrivants entre 2006 et 2011, selon une étude faite au printemps par l'organisme sherbrookois Actions interculturelles de développement et d'éducation (AIDE).

«C'est tout à fait décevant pour la région, dit le directeur général de l'organisme, Mohamed Soulami. Mais le Québec en entier a de la difficulté avec la rétention des personnes immigrantes. Il y a un manque de soutien aux employeurs pour qu'il y ait une ouverture vers l'engagement d'immigrants.»

Subventions salariales

Et pourtant, comme l'a reconnu hier à Montréal le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, «l'emploi, c'est le meilleur endroit pour s'intégrer».

Le ministre a lancé avec sa collègue titulaire du portefeuille de l'Immigration, Kathleen Weil, un appel aux employeurs pour qu'ils embauchent des réfugiés qui s'établiront au Québec dans les prochains mois.

«Les villes sont bien conscientes du défi de rétention. Il faut avoir des milieux accueillants. Ça commence par des entreprises qui disent: "On a besoin de vous"», a dit la ministre Weil.

Flanqués de porte-parole de la Fédération des chambres de commerce du Québec, du Conseil du patronat, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et de Manufacturiers et exportateurs du Québec, les deux ministres ont invité les employeurs à se prévaloir de PRIIME, programme d'aide à l'intégration en emploi des immigrants.

Le programme prévoit des subventions salariales pouvant atteindre 15 000$. Il existe depuis 2005 et est doté d'un financement annuel de 10 millions, ce qui permet d'aider un maximum d'environ 1000 personnes.

Malgré «l'accélération» des arrivées de réfugiés d'ici la fin du mois de février - «un événement sans précédent pour le volume [de réfugiés] dans un court laps de temps», a dit Mme Weil -, aucune enveloppe additionnelle n'est prévue, du moins pour l'instant. «Mais si ce n'est pas suffisant, ce sera une très bonne nouvelle pour le Québec, a dit M. Hamad. Ça voudra dire que 1000 personnes auront trouvé un emploi. On sera heureux d'investir encore davantage.»

La mesure sera-t-elle suffisante pour convaincre les Syriens qui s'installeront à Joliette ou à Victoriaville, par exemple, d'y rester? C'est loin d'être évident, selon Michèle Vatz-Laaroussi, de l'Université de Sherbrooke.

«Ça va se passer comme ça se passe habituellement, estime-t-elle. On peut penser que ce groupe-là va s'insérer à Joliette ou à Victoriaville, mais au bout d'un petit moment, les gens vont venir étudier à Sherbrooke, chercher du travail à Trois-Rivières, etc. C'est un peu normal.»

Autrement dit, comme le résume Henry Mbatika, lui-même à la recherche d'un nouvel emploi : «On a une politique de régionalisation, mais au fond, les gens vont là où il y a des emplois.»

Où iront les réfugiés syriens ?

• Le grand Montréal : 6195

• Québec : 230

• Gatineau : 220

• Sherbrooke : 210

• Granby : 70

• Trois-Rivières : 70

• Drummondville : 70

• Saint-Hyacinthe : 70

• Victoriaville : 50

• Joliette : 30

• Saint-Jérôme : 30