L'objectif: remplacer un départ sans déclencher un imprévisible jeu de chaises musicales. Philippe Couillard procède ce matin à un remaniement ministériel minimaliste, un «ajustement» qui fera passer l'universitaire François Blais au poste de ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur.

Son poste à l'Emploi sera occupé par Sam Hamad, un vétéran de 2003, qui conserverait aussi le ministère du Travail. Pendant des années, ces deux ministères allaient au même responsable. M. Hamad avait précisément occupé ces deux fonctions en 2010.

La cérémonie de prestation de serment est déjà prévue pour ce matin, au bureau du lieutenant-gouverneur, Pierre Duchesne, une garantie qu'on n'envisage pas de grandes manoeuvres qui auraient nécessité une mise en place au Salon rouge de l'Assemblée nationale. Ce scénario non seulement évite les chaises musicales toujours difficile à orchestrer, mais surtout ne fait monter aucun nouvel élu au Conseil des ministres, ce qui aurait suscité bien des déceptions chez les laissés-pour-compte.

Doyen depuis 2006 de la faculté de sciences sociales de l'Université Laval, François Blais avait fait le saut en politique en 2014. Docteur en philosophie (UQAM, 1992), il avait impressionné Philippe Couillard par son aplomb à la période des questions dès les premiers jours. Il a réussi à mettre en place des changements à l'aide sociale sans soulever de ressac chez les prestataires. Il est aussi parvenu à imposer, sans crise, de lourdes compressions aux Carrefours Jeunesse-Emploi.

Certains dossiers attendent

Ses dossiers n'avancent pas tous rapidement, toutefois. On attend encore ses propositions pour les régimes de retraite complémentaires à prestations déterminées. Il a l'avantage d'arriver après l'annonce des compressions en éducation. «Yves Bolduc aura payé pour les coupes», explique-t-on. Son principal enjeu sera l'avenir des commissions scolaires et, nouveau en poste, il aura la latitude nécessaire pour reporter toutes les décisions délicates à l'automne.

Sam Hamad était le principal lieutenant de Philippe Couillard lors de la course à la direction du Parti libéral et aurait dû, par conséquent, s'attendre à une récompense lors de la formation du gouvernement. Mais les postes économiques qu'il convoitait étaient mobilisés par l'équipe des nouveaux candidats venus du secteur des affaires: Carlos Leitao, Martin Coiteux et Jacques Daoust. De mauvaise grâce, il s'était retrouvé au Travail avec, en prime, le portefeuille qui lui tenait à coeur, responsable de la région de Québec. Sous le gouvernement Charest, il avait occupé des postes plus importants: les Ressources naturelles et le Transport, notamment.

En marge de ces nominations, les apparatchiks libéraux en pressentent une autre. L'ancien leader parlementaire de l'Action démocratique du Québec, Sébastien Proulx, devenu l'an passé stratège en communications de Philippe Couillard, sera le candidat libéral dans la sinécure de Jean-Talon, la circonscription laissée vacante hier par le départ d'Yves Bolduc. Dans les cercles libéraux, il est bien connu que Me Proulx avait abandonné son bureau d'avocat avec l'intention de refaire de la politique active; la place subitement libérée dans ce bastion libéral aura accéléré le plan de match.

Retour à la médecine

Ces changements surviennent après une journée fébrile sur la colline parlementaire. À un moment, un réseau de télé s'interrogeait ouvertement sur un retour en catastrophe d'Hélène David, actuellement en Belgique, pour être assermentée ce matin à l'Éducation, une affirmation niée catégoriquement par l'entourage de la ministre de la Culture.

Embourbé dans des controverses sans fin, se sentant largué par le premier ministre, Yves Bolduc a annoncé hier matin qu'il quittait la vie politique pour retourner à la pratique médicale. Il a décidé de toucher une indemnité de départ d'environ 150 000$, à laquelle deux récents députés démissionnaires, le caquiste Christian Dubé et la péquiste Elaine Zakaïb, avaient renoncé.

Tôt en matinée, M. Bolduc a rencontré M. Couillard à ses bureaux, puis a rendu visite à ses collègues députés réunis en caucus. Par la suite, il a rencontré ses collaborateurs au ministère. Par la suite, le dîner avec ses anciens employés politiques a été particulièrement émotif, a-t-on appris.

«Compte tenu de tout ce qui se passe autour en termes d'événements et de nouvelles, j'ai tout simplement pris la décision de retourner à la pratique médicale, ce que j'adore», a affirmé M. Bolduc, aux côtés du premier ministre. Il démissionne autant comme ministre qu'à titre de député. «C'est un départ de la politique», a-t-il résumé, visiblement ému.

Philippe Couillard a parlé d'une «journée triste». «J'ai accepté la décision de mon ami, mon collègue Yves, a-t-il dit. C'est une décision qui est de toute évidence sereine. J'ai été frappé par ça ce matin.» Il avait lui-même recruté Yves Bolduc pour qu'il se présente dans Jean-Talon, à la suite de son départ de la politique en 2008. M. Bolduc a pris la barre de la Santé jusqu'en 2012.

Philippe Couillard a exprimé son «chagrin», ajoutant que «ce n'est des moments agréables pour personne». Il a précisé par la suite que la personne qui «souffre le plus dans une journée comme ça» reste M. Bolduc. «La politique, ce n'est pas facile. C'est un engagement profond, qui est courageux, et Yves l'a accompli avec beaucoup de sincérité et de passion», comme député, ministre de la Santé puis de l'Éducation où il «s'est toujours préoccupé avant tout de la réussite de nos enfants».

Depuis mardi, Philippe Couillard refusait toutefois de réitérer sa confiance à l'égard d'Yves Bolduc, une situation qui devenait de plus en plus intenable. La Presse a révélé mardi qu'un remaniement était probable aujourd'hui, que M. Bolduc se retrouverait sur la touche, relégué au seul ministère de l'Enseignement supérieur.

Parmi ses collaborateurs, on ne pense pas que Philippe Couillard ait demandé qu'il quitte le Conseil des ministres, mais «il s'est rendu compte qu'il serait radioactif partout où il irait», explique-t-on.

Yves Bolduc s'est senti largué par le premier ministre qui, à plusieurs reprises, a ostensiblement refusé d'indiquer qu'il avait toujours confiance en son ministre de l'Éducation.

Le ministre Bolduc s'était maintes fois retrouvé sur la sellette depuis sa nomination à l'Éducation. Il a été critiqué au sujet d'une prime de 215 000$ qu'il avait touchée pour prendre en charge des patients lorsqu'il était député dans l'opposition. Il a déclaré qu'il ne voyait aucun problème à ce que les commissions scolaires fassent des coupes dans les achats de livres. Puis, la semaine dernière, sa déclaration sur les fouilles à nu «très respectueuses» a fait le tour du globe.