Fraîchement élu, Jacques Parizeau, avec ses conseillers, avait planifié un drame collectif au Québec autour d'un énorme déficit qu'auraient balayé sous le tapis les locataires précédents, les libéraux de Daniel Johnson.

Le moment est fébrile, à l'entrée du Conseil des ministres, les journalistes pressent de questions le nouveau ministre des Finances, Jean Campeau. «Tout va bien, tout est en ordre!», dira le candide Campeau, qu'on avait visiblement oublié de mettre dans le coup. Ce n'est pas d'hier qu'un ministre qui parle est un ministre à problèmes. Chaque gouvernement a eu ses patineurs agiles; aucun apparatchik ne retenait son souffle quand un Claude Ryan, une Lise Bacon, un Jacques Léonard, un Bernard Landry se livraient, tout vifs, aux assauts d'une poignée de journalistes.

Sous Lucien Bouchard, le grand timonier avait réglé la question; personne ne parlait à moins d'y être expressément autorisé. Un journaliste qui téléphonait à un cabinet ministériel avait droit à un interrogatoire inquisiteur du Bureau du premier ministre. C'est aussi la stratégie de Stephen Harper, qui restreint avec une poigne de fer l'accès des journalistes à son gouvernement. Comparé à eux, Couillard est un incorrigible bavard avec des conférences de presse qui se prolongent jusqu'à plus soif.

Le gouvernement Couillard a tenté gauchement de mettre en place une nouvelle façon de faire pour mieux encadrer son message. Les ministres auront à prendre connaissance des argumentaires qu'on a pondus pour eux, de leurs «lignes» avant de parler aux journalistes le matin. Censure? Plus exactement, contrôle.

Mais le nombre de ministres désavoués dans les dernières semaines pour s'être avancés sur de la glace mince aura convaincu le chef de cabinet Jean-Louis Dufresne et l'attaché de presse Charles Robert de siffler la fin de la récréation. D'essayer, tout au moins.

Yves Bolduc est de ceux qui creusent leur tombe avec leur bouche. C'est manifestement celui qui a fait déborder la coupe. En cautionnant les «fouilles à nu» dans les écoles à la condition qu'elles soient «respectueuses», le ministre de l'Éducation a soulevé une tempête de désapprobation. Le premier ministre Couillard a vite senti le besoin de corriger le tir et l'a désavoué après 48 heures. À la décharge du gaffeur, l'affaire de la fouille de l'élève de la banlieue de Québec était totalement passée sous le radar des stratèges des communications ce mardi matin. Même s'il avait eu à prendre connaissance de ses «lignes» auparavant, Bolduc aurait tout de même été sans filet devant les caméras.

En fait, la mesure vise à protéger les ministres «paresseux» de leur propre turpitude, explique-t-on en coulisse. Chaque jour de session, dès 8h du matin, le leader Jean-Marc Fournier fait une simulation musclée de ce que risque d'être la période des questions pour les ministres susceptibles de se retrouver sur la sellette. «Mais il y en a qui sont sur la sellette et qui ne s'en rendent pas compte!», confie-t-on. Ceux-là avancent en sifflotant à la rencontre de la meute de journalistes à la porte du caucus, une heure plus tard.

Mais cette nouvelle «procédure» comporte des limites évidentes. Quand Carlos Leitao a échappé que le déficit zéro était une «cible» et non une «promesse», il se trouvait à Montréal, dans un congrès, pas à l'entrée de la réunion quotidienne du caucus libéral. Quand Lise Thériault s'est emberlificotée dans ses réponses sur les évasions héliportées, elle sortait d'une réunion de ses fonctionnaires. Francine Charbonneau avait beau avoir des pages et des pages d'argumentaires sur les tarifs des CPE, elle était incapable de les relayer. On aura beau préparer Kathleen Weil pendant des heures, personne ne pensera à préparer une réponse à une question venue du champ gauche: «Embaucheriez-vous un intégriste?»

Et les autres

Il y a les autres: ceux qui n'ont pas besoin d'une simulation pour expliquer leurs dossiers. On ne mettra pas longtemps un pavé sur la langue de Gaétan Barrette. Jacques Daoust, Pierre Arcand, Carlos Leitao sont arrivés en politique après de longues et fructueuses carrières, on ne les guidera pas longtemps par la main pour parler d'économie. Et quand Jean-Marc Fournier choisit de dire publiquement, avant que le gouvernement n'ait pris sa décision, que la commission Charbonneau doit obtenir la prolongation qu'elle demande, il sait exactement ce qu'il fait.

La nouvelle «procédure» a déjà causé tous les dommages possibles. On verra vite ses limites et elle sera rapidement mise au rancart.