Ce n'était probablement pas le plus sympathique. Sûrement pas le plus humble. Mais Jean-François Lisée était certainement le politicien le plus doué parmi les candidats à la course à la succession de Pauline Marois.

Le fait qu'il ait jeté l'éponge hier n'aura toutefois surpris personne. Bien sûr au caucus de Saint-Jean-sur-Richelieu, avant-hier encore, il faisait mine de chercher des signatures pour appuyer sa candidature.

Mais l'enthousiasme n'y était pas: son équipe était perplexe depuis qu'il leur avait annoncé qu'en dépit de la campagne à préparer, il passerait plusieurs semaines en France pour assister son épouse enceinte de leur troisième enfant. Il est revenu aux affaires jeudi. Le soir même, il a rencontré ses troupes et a tiré un trait définitif sur l'aventure.

Une chose lui importait: que sa décision n'ait pas l'air de lui avoir été imposée. Aussi, il tenait à réunir les 2000 signatures, les appuis jugés nécessaires par les règles du Parti québécois. Péniblement, il venait tout juste de franchir, sur son site internet, le cap des 1000 bénévoles, des gens disposés à donner une heure de leur temps pour sa campagne. Il avait lancé son appel dix semaines plus tôt, début novembre, à Tout le monde en parle. À l'évidence, on ne se bousculait pas au portillon.

Chez les députés du PQ, personne n'avait levé la main pour l'appuyer. En fait, ses collègues avaient carrément failli l'expulser du caucus, convaincus qu'il avait volontairement fait circuler le texte où il expliquait qu'il avait toujours été contre la Charte de la laïcité. Celui qui avait cosigné une lettre au New York Times pour dire que la charte s'inspirait de Thomas Jefferson aurait voté contre le projet de loi? Personne n'a cru cet encombrant collègue. L'argent aussi était un problème. Il avait réuni les 10 000$ nécessaires pour acheter son billet de départ, mais il savait qu'il était bien loin du compte. Il a la réputation d'être plutôt près de ses sous, et la perspective de sortir de la course avec des dettes ne devait pas réjouir celui qui vient tout juste d'être père pour une cinquième fois.

Il s'esquive pour ne pas subir l'humiliation de la défaite en mai prochain. En même temps, il donne une gifle à ses collègues Bernard Drainville, Alexandre Cloutier et Martine Ouellet en annonçant à l'avance que leurs efforts sont vains, que la partie est jouée.

«Candidat à l'ouverture»

Malgré tout, la décision du «candidat à l'ouverture» risque d'être une mauvaise nouvelle pour le Parti québécois. Même si leur champion a déclaré forfait, en coulisses, ses collaborateurs confiaient encore hier que le chef désigné, Pierre Karl Péladeau, n'a aucun succès auprès des communautés culturelles. Sur le front de la souveraineté, la crédibilité de Péladeau est inattaquable, mais dès qu'il est question de diversité, de convictions sociales, de solidarité, le magnat de la presse soulève des soupçons. Lisée avait un respect pour la diversité qui, jusqu'ici, paraît faire défaut à Pierre Karl Péladeau.

Car Lisée incarnait cette ouverture. Il était derrière la stratégie de «dépéquisiser la souveraineté» à l'époque de Jacques Parizeau et a contribué à la volonté de Lucien Bouchard de normaliser les relations avec la communauté anglophone avec le discours du Centaur. Bien sûr, il a eu des errements; il y a plusieurs années, son «Nous» mettait de côté les Québécois qui, ne parlant pas français, devenaient inéligibles. Il n'était pas au-dessus des bassesses partisanes et n'avait pas hésité à passer un coup de fil à l'organisation du 375e anniversaire de Montréal pour que la «rouge» Line Beauchamp n'y soit pas engagée.

Déjà, on réservait ses places pour assister aux débats de la campagne péquiste; les échanges entre Jean-Françcois Lisée et Pierre Karl Péladeau promettaient d'être spectaculaires. Avec ce désistement, l'intérêt pour la course baisse d'un cran. Alexandre Cloutier, Bernard Drainville et Martine Ouellet seront de rudes compétiteurs, mais ils n'auront pas le mordant de Lisée. Tous semblent adhérer au mantra de Drainville: «Il ne faut pas se maganer entre nous» dans cette course.

Lisée avait frappé fort en soutenant que Pierre Karl Péladeau constituait «une bombe à retardement» pour son parti parce qu'il ne voulait pas se défaire de ses intérêts dans le monde des médias. Gauchement, il avait tenté de serrer la pince à Péladeau quelques minutes plus tard; ce dernier était resté plutôt indifférent.

«Il a alors tiré dans sa chaloupe. Cela a fait fuir les poissons, mais ce n'était que le premier de ses problèmes!», ironise un apparatchik péquiste.

On ne donne pas cher de la carrière de Jean-François Lisée une fois que le nouveau chef sera en poste. Pour l'heure, dans un échange avec La Presse, il promettait hier de terminer son mandat et même d'en solliciter un autre éventuellement.

Qui sait? En politique, l'avenir dure parfois longtemps. Un aspirant chef péquiste a déjà dans le passé abandonné la course avant l'humiliation finale: Bernard Landry en 1985. Cela ne l'a pas empêché de devenir par la suite premier ministre.