D'accord sur le principe, inquiets quant aux conséquences: plusieurs organisations viendront soulever leurs préoccupations au sujet du projet de loi 26, par lequel Québec entend récupérer les sommes qui ont fait l'objet de fraudes dans le cadre de contrats publics.

Ils viendront se faire entendre aujourd'hui et demain en commission parlementaire pour faire part de leurs observations à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. D'entrée de jeu, le verdict est dur: «Nos règles de marché public sont devenues des passoires aux communications d'influences, aux appels d'offres dirigés ainsi qu'aux transgressions à répétition, qui ont perduré de nombreuses années», signale la Corporation des entrepreneurs généraux dans son mémoire.

Sans l'Unité permanente anticorruption, l'escouade Marteau et la commission Charbonneau, ces pratiques seraient encore monnaie courante. «Le Québec fait piètre figure en matière de contrôle dans ses appels d'offres publics. Même si nous n'en connaissons pas l'ampleur, plusieurs comportements déviants étaient connus depuis plusieurs années», ajoutent les entrepreneurs.

En décembre dernier, la ministre Vallée avait finalement déposé le projet de loi réclamé par l'opposition péquiste pour permettre à Québec ainsi qu'aux municipalités d'être remboursés par les entreprises frauduleuses.

Le projet de loi 26 différait de celui présenté par le gouvernement Marois. D'abord, il vise l'ensemble des contrats gouvernementaux et ne se limite pas au seul secteur de la construction. De plus, il prévoit que les entreprises délinquantes devront assumer les coûts de cette opération - on prévoit une dizaine de millions pour la mise en place du bureau d'examen, qui sera dirigé par une personne «neutre et indépendante», probablement un juge à la retraite.

Dans un premier temps, les entreprises qui ont transgressé les règles pour obtenir des contrats gouvernementaux pourront volontairement «se mettre à table», dans les 12 mois suivant l'adoption du projet de loi, pour négocier le remboursement des sommes soutirées à l'État. En commission parlementaire, plusieurs groupes exigeront que Québec s'engage alors à donner une «quittance» finale qu'on ne pourra revenir avec d'autres recours par la suite.

Sur des contrats d'une valeur de 20 milliards, «plusieurs dizaines de millions» pourront être récupérés, prédit Québec. Les contribuables n'auront pas à payer la note - autre différence avec le projet de loi soumis par le gouvernement Marois. Les entreprises auront à payer une surprime de 10% sur les sommes versées en trop.

Les firmes seront tentées par ce règlement de récupérer leur droit de solliciter des contrats avec le gouvernement, prévoit Québec.

Les entreprises qui ne se prévaudront pas de cette possibilité s'exposent à être poursuivies par Québec, qui entend donner aux organismes et ministères «des outils exceptionnels» pour leur permettre d'entamer des recours afin de retrouver leur dû.

Retour sur 20 ans

Québec et les municipalités pourront récupérer les sommes versées en trop sur les 20 années précédentes - normalement, la prescription n'est que de trois ans. En outre, lorsque la collusion ou la fraude sera constatée, la présomption sera que le gouvernement s'est fait flouer de 15%. Si la firme est reconnue coupable, elle devra payer une pénalité de 20% des sommes dues, pour couvrir les frais juridiques engagés par le gouvernement ou les villes.

Les entrepreneurs demandent que la loi soit élargie aux sous-traitants et fournisseurs des entreprises fautives. On veut aussi qu'on impose une pénalité de 5% de la valeur du contrat, pendant trois ans, aux firmes qui se sont entendues avec Québec.

L'Association de la construction, qui représente 17 000 entreprises générant 60% des heures travaillées dans l'industrie, observe qu'en reculant de 20 ans pour détrousser des fraudeurs, Québec constatera l'absence de mécanismes de prévention au municipal et au provincial; le manque d'expertise suffisante pour cette période est «manifeste», prévient-on.

Les villes de Montréal et de Laval témoigneront aussi aujourd'hui. La métropole n'avait pas transmis son mémoire à la Commission des institutions, hier. La Fédération des chambres de commerce, qui témoignera en soirée, est d'accord avec le principe du projet de loi, mais s'interroge sur l'importance des embûches qui se dresseront sur la route des entrepreneurs. Au terme de l'expérience, on peut se demander combien d'entreprises lèveront la main pour s'auto-accuser.

L'Institut des administrateurs de société s'interroge de son côté sur les risques de poursuites de ses membres, qui pourraient personnellement être visés par des recours pour des gestes faits il y a 20 ans. Le projet de loi 26 comporte «des conséquences pratiques désastreuses» pour ces cadres menacés par l'application, «rétroactive», de nouvelles normes de conduite.