La bibliothèque de l'Assemblée nationale est un havre de paix que le brouhaha du Parlement ne perturbe jamais.

Une question, en apparence anodine, est venue troubler la tranquillité des lieux: quel est le dernier député à avoir publié une oeuvre de fiction au cours de son mandat? Après vérifications, on n'a pu répondre à la question avec «certitude».

«Veuillez pardonner l'état de cette situation: le projet de recensement des ouvrages écrits par les parlementaires québécois est en cours et nous nous efforçons de le réaliser le plus rapidement possible», a-t-on répondu poliment à La Presse. Il y a bien le libéral Robert Dutil et le péquiste Maka Kotto qui ont publié des fictions, mais c'était au moment où ils ne siégeaient pas à l'Assemblée nationale.

Selon toute vraisemblance, la réponse est Gérald Godin, qui a publié L'ange exterminé en 1990. Ce l'était du moins avant cet automne.

Vingt-quatre ans après Godin, un député en fonction publie un roman. Le caquiste Jean-François Roberge est bien fier de son coup, mais il n'a pas la prétention de se comparer au défunt poète. «J'ai des croûtes à manger», lâche l'élu dans Chambly.

Son registre: la littérature jeunesse. «C'est plus là que se trouve mon expertise.» Avant de faire le saut en politique aux élections du printemps dernier, il était enseignant à l'école primaire de Saint-Basile-le-Grand, depuis 17 ans.

Francis l'intrépide (Éditions Pierre Tisseyre) est la suite de Francis perdu dans les méandres, publié en 2010. Il en a terminé la révision au lendemain du scrutin. «On dit des fois que certains produits ne sont pas testés sur les animaux. Moi, je l'ai testé sur mes élèves. Ils m'ont fait des suggestions, m'ont proposé de resserrer l'histoire. Je l'ai améliorée avec leurs commentaires.»

Ni loser, ni héros

Le livre raconte l'histoire de Francis, élève de première secondaire et collaborateur au journal étudiant La Fouine. Il mène une enquête sur une bande de tricheurs qui sévit à l'école.

L'enseignant de métier l'a constaté dans ses classes: «Les filles lisent plus et écrivent mieux que les garçons.»

Alors il a voulu écrire des livres que les garçons auront «le goût de lire», «avec un personnage auquel ils peuvent s'identifier». Même s'il est lui-même père de deux filles, Cassandre et Ariane - c'est aussi un amoureux des références grecques, vous pigez?

«C'est à la mode, les vampires, les dragons, les sorciers, les Amos Daragon, les Harry Potter. C'est très bon. Mais un garçon de 12, 13 ans ne peut s'identifier à un héros qui règle tout à coups de potions et de baguettes magiques. J'ai voulu pour nos garçons créer un personnage qui n'était pas un loser ni un héros, qui arrivait à faire son chemin à coups d'essais, d'erreurs, de persévérance.»

Essais, erreurs: Francis sort un scoop... avant de se retrouver dans un cul-de-sac avec son enquête.

Son rédacteur en chef réplique avec des mots qui ont déjà résonné dans les salles de nouvelles: «Voyons, Francis, ce n'est pas parce qu'il ne se passe rien qu'on ne publiera pas de mise à jour. S'il n'y a pas de développements, ça veut dire que les fautifs ne se sont pas fait prendre. Et ça, c'est une nouvelle!» Un truc du métier.

Dilemme moral

Jean-François Roberge l'a probablement appris dans les journaux étudiants auxquels il a collaboré. D'abord Le Délirium du collège André-Grasset, puis Montréal Campus, pépinière de journalistes de l'UQAM, où Roberge a étudié en enseignement. Il se souvient qu'au cégep, le «patron» du Délirium était Charles Grandmont, qui travaille aujourd'hui au magazine L'actualité.

«Dans mon livre, il y a un Charles qui est rédacteur en chef, eh bien, c'est lui», révèle-t-il, «en exclusivité», il va sans dire.

Jean-François Roberge a voulu s'éloigner du monde peint en noir et blanc, divisé entre bons et méchants. Francis se heurte à un dilemme moral quand il découvre l'identité du chef des tricheurs et les circonstances qui ont mené au «crime».

On assiste alors à ce que l'univers des compétences transversales appelle un «geste réparateur».

En fond de scène, on est témoin du passage de Francis du primaire au secondaire. Roberge, lui, est passé du primaire au Parlement.

«Passe-moi la puck, je vais en compter des buts!», a lancé le député tel un Coloc à son chef François Legault quand il lui a demandé de lui confier le dossier de l'éducation. Des médias lui ont donné de bonnes notes dans les bulletins de fin de session. Enseignant, écrivain, député, c'est un peu le même rôle, celui de «communicateur», observe le lauréat.

Bolduc disqualifié

L'auteur a été catastrophé lorsque son vis-à-vis, le ministre de l'Éducation Yves Bolduc, a affirmé qu'il y avait déjà assez de livres dans les bibliothèques des écoles et que les commissions scolaires pouvaient en acheter moins pour répondre aux commandes de compressions.

«Il a fait des gaffes, l'une éthique avec sa prime de médecin, mais celle qui l'a peut-être disqualifié pour être à la tête du ministère de l'Éducation, c'est celle-là. Tu ne peux pas être ministre de l'Éducation et banaliser la culture à l'école, la littérature.»

«Sans sacrifier le travail de député», Jean-François Roberge écrit une suite aux aventures de Francis. Elle pourrait être publiée en 2015. «Ce n'est pas un engagement, dit le politicien avec prudence, c'est à peine un souhait.»

Et il envisage l'écriture d'un autre roman, d'aventures celui-là. Pour des lecteurs adultes.

«Une belle grosse brique, je crois. C'est embryonnaire. Peut-être ne sera-t-il jamais publié... Mais c'est un roman qui se passe au XVIIIe siècle, dans les Caraïbes, avec pirates, corsaires, flibustiers.»

Le Salon bleu l'a-t-il inspiré, avec ses équipages qui s'affrontent autour du trésor public?

«Ç'a été de façon inconsciente si c'est le cas!»

Pour l'instant, Francis l'intrépide est en vente dans toutes les bonnes librairies. Et le sera peut-être un jour à la bibliothèque de l'Assemblée nationale.

Jean-François Roberge en bref

40 ans

Député de Chambly depuis les élections du 7 avril dernier

Enseignant au primaire pendant 17 ans

Candidat défait de la Coalition avenir Québec dans Vachon en 2012

Président de l'association du Parti québécois de Vachon en 2007-2008

Président de Force Jeunesse en 2002-2003