Le deuxième jour des consultations sur la réforme des régimes de retraite a viré au règlement de comptes entre le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, et le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francoeur. Le chef syndical a laissé planer la menace de «perturbations sociales» pour ensuite se faire rappeler son serment de policier par M. Moreau.

La collision semblait imminente dès la matinée hier, bien avant le passage en commission parlementaire de M. Francoeur, en fin d'après-midi.

Lors d'une conférence de presse, sous les yeux des syndiqués qui se trouvaient derrière les journalistes, Pierre Moreau a reproché aux syndicats de ne faire aucune proposition et de manquer d'ouverture.

Piqué au vif, Yves Francoeur, en compagnie d'autres leaders syndicaux, a aussitôt répliqué, qualifiant la commission parlementaire de «farce». Par son intransigeance, le gouvernement Couillard doit s'attendre à des «perturbations sociales». «Le diable est aux vaches!» ,a-t-il lancé.

Yves Francoeur en a remis une couche en commission parlementaire: «La première et principale chose que j'ai à vous dire, c'est qu'on se demande ce que l'on fait ici!» Il a tenu à souligner que le ministre a «soulevé beaucoup de passion» chez les syndiqués parce qu'il aurait déclaré dans une entrevue que les policiers «sont très bien traités compte tenu de leur scolarité». Le ton était donné.

«Vous avez fait un préambule, j'en ferai un moi aussi», a répondu Pierre Moreau, revenant sur les «perturbations sociales» évoquées par le chef syndical. «J'espère que vous n'en ferez pas partie [de ces perturbations], M. Francoeur, parce que je vous rappelle un texte qui va vous dire quelque chose.» Le ministre s'est mis à lire le serment des policiers, qui prévoit de porter «vraie allégeance à l'autorité constituée» et de respecter le code de déontologie. «Ah ben, l'tabarnak!», a lâché un syndiqué présent au Salon rouge.

«Quand on est un représentant de l'autorité, et particulièrement lorsqu'on est un leader représentant l'autorité, on ne doit pas suggérer qu'il y ait des perturbations sociales, a poursuivi Pierre Moreau. C'est non conforme au serment que vous avez prêté et en dessous des attentes qu'une société démocratique a [envers] ses leaders.»

Le ministre a fait la leçon à M. Francoeur pendant plusieurs minutes. Il lui a reproché d'avoir une attitude du type «si ça ne fait pas mon affaire, je casse tout». «Ça ne marche pas de même, dans une société démocratique», a-t-il insisté.

«Des conditions négociées»

Visiblement en colère, Yves Francoeur a préféré «ne pas [se] chicaner» avec Pierre Moreau. Sur le fond, il a accusé le ministre de déposer «une loi bulldozer pour passer sur le corps de conditions de retraite qui ont été négociées en échange d'un salaire moins élevé».

Le régime de retraite des policiers de Montréal dispose d'actifs de 4,3 milliards de dollars, est pleinement capitalisé et non déficitaire. Pour cette raison, il ne doit pas être visé par le projet de loi, estime M. Francoeur.

Le projet de loi impose un partage égal des coûts du régime entre les travailleurs et les municipalités. Ces coûts seraient limités à 20% dans le cas des policiers et des pompiers -, à 18% pour les autres employés municipaux.

Le coût du régime des policiers montréalais représente 29% de la masse salariale. Il est payé à 24% par les policiers et à 76% par la Ville. Selon Yves Francoeur, le projet de loi forcerait un policier à payer 224$ par semaine pour financer le régime, au lieu de 110$.

Les policiers les plus pénalisés?

«Les policiers sont davantage pénalisés que tout autre groupe d'employés municipaux», plaidait un peu plus tôt Denis Côté, président de la Fédération des policiers  et policières municipaux du Québec.

Si l'on tient compte de toutes les dispositions du projet de loi et des «pertes de rendement», «c'est plus de 2 milliards que les policiers perdront en valeur de bénéfices» au bout de 15 ans. «Ce sont les finances municipales que le projet de loi veut assainir, pas les régimes de retraite», a-t-il accusé. Selon lui, «il est utopique de penser qu'avec de telles ponctions, les policiers pourront prendre leur retraite cinq années plus tôt comme le prévoient les lois fiscales».

Les déficits des régimes des policiers s'élèvent à 400 millions. Pour Denis Côté, le partage égal des déficits passés devrait s'appliquer seulement aux régimes qui sont capitalisés à moins de 85%. Pour les autres, les déficits doivent être assumés en entier par les municipalités, comme le prévoient les ententes négociées dans le passé, a-t-il dit. Il s'est montré disposé à partager également des déficits futurs, comme le prévoit le projet de loi.

«Des actions draconiennes», accusent les pompiers

Le Regroupement des associations de pompiers du Québec a accusé le gouvernement de sabrer «à coups de hache» les régimes de retraite. Selon lui, les caisses des pompiers se portent bien et sont capitalisées à 90% en moyenne. Les «actions draconiennes» du projet de loi 3 ne sont pas justifiées. Les déficits accumulés s'élèvent à 203 millions et doivent être assumés à 100% par les municipalités «dans le respect des ententes» signées, a-t-il plaidé. Dans le cas des pompiers de Montréal, le régime prévoit un partage des coûts de 30% pour l'employé et 70% pour la municipalité. «On a accepté du salaire moindre pour maintenir ça», a dit leur président, Ronald Martin. C'est un argument «difficile à soutenir», selon Pierre Moreau, qui rappelle que la rémunération globale dans les municipalités est plus élevée qu'au gouvernement.

Les retraités demandent le retrait du projet de loi

L'Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic a demandé le retrait pur et simple du projet de loi 3. Elle en a contre la possibilité donnée aux municipalités de suspendre l'indexation automatique des rentes. Cette mesure représente «une rupture de contrats dûment signés de gré à gré» et entraîne «une perte de pouvoir d'achat», a dit le président Donald Tremblay. Pour Pierre Moreau, c'est plutôt un «inconvénient temporaire mineur». La mesure toucherait potentiellement 15% des 172 régimes des employés municipaux, c'est-à-dire ceux qui prévoient une indexation automatique; 3256 personnes seraient touchées, soit 7% des retraités. Le ministre n'a pas exclu de faire une place aux retraités dans les négociations sur la restructuration des régimes.