Un brouillard entoure une annonce de la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, sur l'entrée en vigueur d'une interdiction de vol au-dessus de centres de détention.

Vingt-quatre heures après avoir réagi dans la confusion à l'évasion de trois dangereux détenus, Mme Thériault a voulu se faire rassurante, hier, en annonçant que des zones d'exclusion aérienne seraient créées au-dessus d'établissements québécois jugés vulnérables. Or, contrairement à ce qu'elle a dit, la société Nav Canada, chargée de contrôler le trafic aérien civil, affirme n'avoir aucune entente avec Québec à ce sujet.

Pas de feu vert

En conférence de presse, Lise Thériault a soutenu qu'à la demande de son sous-ministre, Nav Canada «a confirmé [hier matin] qu'elle acceptait de mettre en place des zones d'exclusion qui seront déployées graduellement, selon les priorités identifiées par le Ministère». «Ça n'a pas pris 24 heures!», s'est-elle félicitée en Chambre.

Un porte-parole de Nav Canada, Ron Singer, a toutefois affirmé à La Presse que la création de ces zones n'était pas prévue, qu'aucun échange n'avait eu lieu avec Québec, et qu'aucun feu vert n'avait été donné hier. «La seule chose que je peux confirmer, c'est que [depuis dimanche], il y a une zone d'exclusion aérienne temporaire à la demande de Transports Canada au-dessus de la prison d'Orsainville», théâtre de l'évasion de samedi, a-t-il dit. «Il n'y a rien d'autre.» Il a suggéré de joindre Transports Canada, le ministère fédéral avec qui il devrait y avoir entente, si entente il y a. Transports Canada ne nous a pas rappelés, ni les cabinets des ministres fédéraux Lisa Raitt (Transports) et Steven Blaney (Sécurité publique).

Relancé par La Presse, le cabinet de la ministre Thériault a précisé que la Sûreté du Québec - et non le sous-ministre - lui a confirmé hier en matinée qu'en réponse aux demandes auprès de Nav Canada et de Transports Canada, des interdictions de vol entreraient en vigueur progressivement. La ministre n'avait jamais parlé d'échanges avec Transports Canada. Une rencontre a eu lieu en fin d'après-midi entre Mme Thériault et son sous-ministre pour éclaircir la situation.

«Ce que [l'interdiction change], c'est qu'à partir du moment où aucun avion ou hélicoptère n'a le droit de survoler un espace défini, ça permet aux gens qui sont en place, à partir du moment où on voit qu'il y a un appareil dans l'espace aérien, de voir venir et de se préparer. Ça donne au moins le temps de réaction. S'il y a du trafic aérien, on ne peut pas déceler ce qui est anormal», expliquait plus tôt Mme Thériault en conférence de presse.

Il s'agit d'une «mesure transitoire» avant que des «correctifs permanents» ne soient apportés. Le ministère de la Sécurité publique est en train de déterminer dans quels centres de détention seront installés «des équipements qui empêcheront l'atterrissage d'hélicoptère». Il s'agit de filets et de câbles d'acier.

Les mesures de sécurité examinées

Québec a demandé à tous les centres de détention de réévaluer leurs mesures de sécurité, en particulier lors des sorties dans les cours extérieures. Toutes les directions d'établissements doivent évaluer «le nombre de prévenus et de détenus à haut risque d'évasion et qui sont liés au crime organisé».

Lise Thériault a accusé le Parti québécois de n'avoir mis en oeuvre «aucune mesure» lorsqu'il était au pouvoir, après l'évasion par hélicoptère à Saint-Jérôme, en mars 2013. Lundi, elle précisait qu'un «plan» avait été préparé, mais qu'il n'avait pas été mis en vigueur jusqu'ici.

Lise Thériault s'est subitement emmurée dans le silence au sujet des circonstances ayant mené à la baisse de la cote de sécurité des trois fugitifs, en attente de procès pour meurtre et trafic de stupéfiants. Elle a justifié son mutisme en disant qu'un jugement de mars dernier modifiant les conditions de détention des trois évadés est frappé d'une ordonnance de non-publication. Elle a plaidé qu'elle ne veut pas faire avorter un procès.

Mais la ministre était plus loquace lundi. Elle disait alors que ce jugement avait forcé le centre de détention à baisser la cote de sécurité des détenus et qu'il est «questionnable». Elle avait même affirmé que ce jugement est «public».

«Je n'ai pas brisé l'ordonnance de non-publication, a-t-elle clamé hier. Vous comprendrez que toutes les questions que vous me poserez concernant le jugement, les conditions, les prisonniers, elles n'auront aucune [réponse] de ma part.» Elle a refusé de commenter les révélations selon lesquelles les autorités savaient depuis mars que les fugitifs tenteraient de s'évader par hélicoptère.

Au cours de son point de presse, Lise Thériault s'est contentée de dire qu'elle a posé des questions pour savoir «comment le processus administratif s'est articulé depuis le jugement de mars dernier sur les conditions de détentions des trois fugitifs». Elle se demande aussi pourquoi aucune mesure de prévention n'a pas été mise en application depuis l'évasion de Saint-Jérôme. «Ce sont des questions légitimes et sur lesquelles je veux des réponses», a-t-elle dit.

Lundi, l'ex-ministre de la Sécurité publique, le député péquiste Stéphane Bergeron, affirmait que le recours à des filets et des câbles d'acier avait été envisagé à l'époque, mais que le coût est élevé et que la configuration de certains établissements n'en permet pas l'installation. Il avait demandé à Ottawa de mettre en place une zone d'exclusion aérienne au-dessus des centres de détention québécois, comme pour les pénitenciers fédéraux. Mais la requête était restée sans réponse, selon lui. Lise Thériault a précisé que la demande de M. Bergeron avait été acheminée à Ottawa sept mois après l'évasion de Saint-Jérôme.