ANALYSE - «Est-ce qu'il y a une autre question? Fini? Moi, j'étais prêt à continuer! Moi, j'aimais ça. Moi, j'aimais ça, j'aimais ça!»

À la fin de la première période de questions, le président, devenu perpétuel, de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, exultait. On était loin du climat du printemps dernier, quand il devait s'imposer comme arbitre, stopper des altercations souvent vicieuses, suspendre les travaux pour que tout le monde reprenne ses esprits. Jeudi, on aurait pu prévoir de nombreuses collisions pour ce premier affrontement entre le nouveau gouvernement libéral et les partis de l'opposition. Le PQ surtout, éjecté du pouvoir après seulement 18 mois, aurait toutes les raisons d'être vindicatif.

Tous les acteurs du drame en devenir étaient présents. Stéphane Bédard, le leader parlementaire toujours acharné du gouvernement Marois, a même eu une promotion, et beaucoup plus de visibilité, comme chef de l'aile parlementaire de son parti. Jean-Marc Fournier, le stratège libéral du Salon bleu qui avait fait tourner en bourrique l'ancien président Michel Bissonnet, était aussi de retour.

Bref, le sanguinaire Bédard et l'exaspérant rhétoricien Fournier étaient de nouveau face à face. Et puis? Et puis rien. On se confondait en politesses. Libéraux et péquistes étaient dans la «collaboration», dans les mains tendues et les salamalecs «bonne-ententistes». Les raisons de ce soudain pacte de non-agression sont nombreuses.

Budget

Le gouvernement doit déposer dans deux semaines son budget et les crédits de dépenses, un champ miné pour les anciens ministres Nicolas Marceau et Stéphane Bédard. On peut penser que l'ancien ministre des Finances ne sera pas trop agressif, même si le gouvernement prévoit déjà hausser sa cible de déficit pour cette année - Marceau bien avant Carlos Leitao avait décliné sans y croire la même tirade: «L'atteinte du déficit zéro l'an prochain est incontournable.»

Du côté des dépenses, ce sera encore plus facile; le gouvernement Marois avait fait pleuvoir les annonces avant le déclenchement des élections et avait renoncé à déposer des prévisions de dépenses devenues embarrassantes pour 2014-2015, tant il avait fait sauter la caisse. Bien sûr, l'ancien président du Conseil du trésor, M. Bédard, a bombé le torse et soutenu que le PQ avait été le seul en dix ans à atteindre ses cibles de dépenses, mais il s'est fait rappeler qu'il n'avait pas eu le courage de déposer ses chiffres avant que Mme Marois ne précipite le Québec en élections. Après tous les rebondissements des derniers mois, les élus, tous partis confondus, ont la tête au repos en famille.

Loin des élections

Autre facteur contribuant à calmer le jeu: on est bien loin des prochaines élections. Les libéraux aiment rappeler avec une pointe d'ironie qu'ils sont au pouvoir pour quatre ans «et demi». En déclenchant les élections prématurément, Mme Marois leur a donné une prime de six mois avant octobre 2018, la date déjà fixée du prochain scrutin.

Gaétan Barrette, le titulaire de la Santé, sera clairement une cible de prédilection pour l'opposition. Celle-ci réclamait cette semaine qu'on le mette de côté, que l'on confie au président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, la responsabilité de négocier avec les fédérations de médecins, l'ancien employeur du Dr Barrette. Philippe Couillard n'a pas fléchi: «Quand j'ai confié ces responsabilités [à Gaétan Barrette], c'est parce que j'étais convaincu qu'il saura passer de son rôle de représentant de 8000 médecins spécialistes à son rôle de représentant de 8 millions de Québécois.» Quelques minutes plus tard, le coloré médecin allait d'ailleurs jouer son rôle dans le rapprochement entre le gouvernement et l'opposition - Véronique Hivon aura eu cette semaine sa part de crédit pour avoir piloté le projet de loi 52, sur l'aide médicale à mourir, jusqu'à la veille de son adoption qui se fera à l'unanimité de l'Assemblée.

Le débat à l'interne du PQ

Autre facteur qui fait baisser le ton: le PQ a son propre débat à mener à l'interne. Déjà, Stéphane Bédard incarne la continuité du régime Marois, devenue la responsable de tous les maux depuis le 7 avril. Il n'est pas parvenu à imposer ses députés comme membres du Conseil exécutif. Son ami Pierre Duchesne reluque le poste de directeur général du PQ, mais une faction pousse pour Monique Richard.

M. Bédard étant vu par bien des députés comme un lieutenant éventuel de Pierre Karl Péladeau, l'absence prolongée et inopinée du patron de presse viendra chambarder le plan de match de l'opposition péquiste. M. Bédard aura du fil à retordre pour maintenir son emprise sur ses troupes. Pour l'heure, les éventuels aspirants, les Bernard Drainville et Jean-François Lisée, soupèsent leurs appuis, plutôt anémiques dans le cas du dernier. Une phalange de jeunes voudrait convaincre Véronique Hivon de plonger, mais ceux qui la connaissent savent que, flattée pour l'instant, elle se servira plutôt de ce poids politique pour influencer le choix du futur chef.

Coalition avenir Québec

Pendant ce temps à la Coalition avenir Québec, on regarde le gouvernement Couillard récupérer des idées. Lors de l'ouverture de la Chambre, les députés caquistes fraternisaient ouvertement avec les libéraux, tandis que les péquistes - Stéphane Bédard au premier chef - restaient en retrait. Geler l'embauche des fonctionnaires, mettre sur la glace d'importants investissements immobiliers et même remettre en question la participation de Québec au financement de la supercimenterie de Port-Daniel: autant de gestes prônés par François Legault et récupérés par le gouvernement libéral. Pas question en revanche de suivre M. Legault quand il préconise un pari risqué: baisser les impôts pour stimuler l'économie.