Note du chroniqueur: Je n'ai jamais caché aux lecteurs de La Presse mes liens d'amitié avec Jean-François Lisée, qui sont antérieurs à son entrée en politique comme député de Rosemont. Dans l'intérêt d'une transparence totale, je les rappelle ici. Ça explique les «tu» de cette entrevue...

Q : Qu'est-ce que ça dit sur le PQ que tant d'électeurs aient choisi un parti, le PLQ, dont le passé éthique n'est pas encore «nettoyé»?

R : Trois éléments ont changé la donne et ont fait en sorte que la possibilité référendaire a gagné en crédibilité.

Un, la venue de PKP en politique, et ce n'est pas lui jeter le blâme que de faire ce constat. Deux, les extraordinaires candidats, et en particulier candidates, réunis par Mme Marois. Trois, le mot «Déterminée», utilisé par la campagne: tout cela a donné énormément de crédibilité à la possibilité référendaire.

J'ai des collègues qui disent que le message, nos messages, ne passaient pas. Eh bien, non! Notre message a très bien passé, les gens ont très bien compris. Presque un demi-million de Québécois (qui avaient voté PQ en 2012) se sont donc dit: «Ben, dans ce cas-là, on va aller voir ailleurs.» [...] On a fait notre travail pour crédibiliser l'option. Et l'opinion publique a fait son travail de dire: «On n'en veut pas.» Il y a une grande clarté dans cette campagne.

Ce n'est pas un fait complètement nouveau. Mais c'est la force du ressac qui est étonnante. Je pense que la réticence à rouvrir le débat sur la souveraineté était telle que les autres considérations devenaient mineures.

Q : Il suffit que le PLQ brandisse l'épouvantail référendaire pour que le PQ soit dans le trouble...

R : Il est clair qu'il y a un éléphant dans la pièce, il est avec nous au Parti québécois et il ne s'en ira pas. Il y a donc deux approches.

Un, dire: «Nous, on est indépendantistes, on va essayer de vous convaincre, et si vous n'aimez pas ça, ne votez pas pour nous.»

Deux, dire: «Le PQ est indépendantiste et le restera jusqu'à ce qu'on fasse l'indépendance. Mais on a l'intérêt national à coeur. Et il pourra dire aux électeurs que c'est un objectif qu'il ne réalisera pas avant le mandat suivant, ou qu'il ne tentera pas de réaliser dans le mandat suivant, comme René Lévesque l'a fait en 1981.

Q : Et le député de Rosemont privilégie quelle approche?

R : Je pense que c'est trop tôt pour conclure. J'ai hâte de savoir s'il y a d'autres options, mais ce sont les deux qui me viennent à l'esprit. Il faut avoir cette discussion entre nous, les députés et les militants. Et ce ne sera pas facile.

Q : Il y aura une course à la direction: JFL en sera-t-il?

R : Je ne le sais pas. Je ne le sais pas du tout.

Q : C'est dur à croire...

R : Ça fait partie de la vie politique. Les gens te prêtent des intentions. Moi, je disais, et c'était vrai: mon plan de carrière était d'aider Pauline Marois à faire la souveraineté. Mais il faut avoir ces débats-là d'abord, savoir où le parti veut aller. Après, on verra qui est intéressé à porter cette orientation.

Q : Mais spontanément, tu ne dis pas «go»?

R : Mon Dieu, non! Comme je le disais à Pauline, hier: «C'est un paquet de troubles.» Et elle était parfaitement d'accord! Mais je me sens une grande responsabilité de participer au débat.

Q : La Charte ne vous a pas aidés...

R : Tous ceux qui étaient contre la Charte disent, depuis lundi, que c'est à cause de la Charte! Mais les seules données solides viennent du sondage Ipsos de fin de campagne: il y avait un gain-Charte, mais ce n'était pas une motivation assez forte dans l'ensemble des débats de l'élection.

Q : Aucun regret, donc?

R : Je continue à croire que la Charte est un progrès social, un progrès de droit. Dire que l'État est laïque et que les croyances restent à la porte de l'État, c'est un rempart contre tous les intégristes.

Mais j'ai toujours plaidé - comme blogueur et comme ministre - pour une application très graduelle d'un changement aussi important.

Q : Donc, tu étais dans les colombes, sur la Charte...

R : J'ai mené la charge pour la clause grand-père, dans les débats internes, pour qu'on applique le nouveau code vestimentaire aux nouvelles embauches (la position officielle du PQ: pas de clause grand-père). C'était à la fois par respect et humanisme, je ne voyais pas pourquoi il fallait brusquer les gens sur un sujet aussi personnel.

Rappelons-nous que la loi 101 a une clause grand-père: tous ceux qui étaient à l'école anglaise ont pu y rester, ainsi que leurs descendants, pour les siècles et les siècles.

Q : Pourquoi ne pas l'avoir dit pendant le débat sur la Charte?

R : Je l'avais dit, comme blogueur. Chaque fois que j'intervenais, j'utilisais le mot «transition». C'était tout ce que je pouvais dire en étant respectueux de la solidarité ministérielle et des débats à l'interne. À ce titre, Bernard et Pauline ont été, je dois le dire, plus que généreux: à l'interne, l'espace pour exprimer nos points de vue, l'espace de débat, fut total.

Q : Il y a comme un consensus sur une campagne péquiste bâclée. Trois gaffes majeures, selon JFL?

R : Ça n'a aucune importance. Des problèmes d'organisation, de «scriptage», il y en a plein. Si on avait perdu par 1%, par deux comtés, on serait très fâchés contre des erreurs qui auraient pu faire la différence. Mais là, c'est vraiment pas le cas. Nous avons été emportés par un tsunami. Même si nous avions fait une campagne parfaite, nous aurions été emportés par ce tsunami.

Q : J'ai l'impression d'assister à la mort du PQ...

R : Moi, je ne crois pas: 59% des Québécois ont voté contre le PLQ. Pourquoi les lecteurs de La Presse rencontrent-ils assez peu de gens contents de leurs élections? Ben c'est parce que 70% des francophones n'ont pas voté PLQ. C'est beaucoup.

Q : Se peut-il que Jean-François Lisée soit en déni?

R : Personne ne peut prédire l'avenir. Mais j'ai de la difficulté à envisager la mort du Parti québécois. L'idée d'indépendance est très forte, elle a résisté à plusieurs constats de décès. Nous avons 90 000 membres, plus que tous les partis combinés.

À 25% du vote, avec un parti qui s'est renouvelé dans ses candidats, il y a une résilience forte. Est-ce une illusion d'optique? Ou est-ce que ça va être durable? C'est notre responsabilité de rendre ça durable.

Q : Se peut-il que les Québécois, au fond, aiment ça, être dans le Canada?

R : C'est très paradoxal: 40% des Québécois ont choisi un parti très canadianisé. Mais quand on leur demande leur attachement au Canada, celui-ci est en baisse, pouvait-on lire dans un texte du Globe and Mail de jeudi: il est passé de 57% en 1998 à 31%. C'est un no man's land: l'identité des Québécois, c'est le Québec; leur pays, c'est le Canada, mais ils ne veulent pas débattre de la question de savoir s'ils doivent quitter un pays qui ne les intéresse pas.