Dans le camp des alliés de la charte des valeurs, le gouvernement péquiste dit pouvoir compter sur des recrues surprenantes: des militants libéraux.

Et selon le ministre responsable, Bernard Drainville, ils sont très nombreux les électeurs et militants libéraux à désespérer de la position du Parti libéral du Québec (PLQ) sur la neutralité de l'État, préférant endosser celle du gouvernement, incluant le volet controversé portant sur l'interdiction faite aux employés de l'État de porter des signes religieux.

Dans une entrevue à La Presse Canadienne, lundi, le ministre a assuré que le phénomène était bien réel et important: des libéraux affirment souhaiter que la charte soit adoptée telle quelle.

M. Drainville affirme que depuis des mois il ne compte plus les appels et messages de toutes sortes de libéraux qui y vont d'un «Lâchez pas!» bien senti, l'exhortant à garder le cap.

«C'est arrivé tellement souvent que je ne peux pas douter que ça existe. Il y a très certainement une partie de l'électorat traditionnellement libéral qui est très déçu, qui ne comprend pas la position de Philippe Couillard, qui n'est pas d'accord (avec lui) et qui appuie la charte. Ça, c'est clair», selon lui.

Quant à savoir s'il s'agit ou non d'une tendance lourde ou d'un phénomène somme toute marginal, le ministre reste prudent, encore surpris de recevoir ce type d'appui, «toujours un peu étonnant la première fois». Chose certaine, depuis le début de l'automne, il affirme que régulièrement des gens l'abordent en lui disant: «Je suis libéral, je n'ai jamais voté pour vous, mais lâchez pas!».

Il interprète ce présumé désaveu d'électeurs libéraux par le fait que la base militante sent qu'elle n'a «pas beaucoup d'impact» sur la position adoptée par le parti en ce domaine, une position qu'il assimile à «du grand n'importe quoi», notamment sur la question des signes religieux pour les personnes ayant un pouvoir de coercition: policiers, gardiens de prison et juges.

Les libéraux reviennent «à la case départ», en étant désormais favorables à voir ces derniers afficher leurs convictions religieuses, «ce qui n'a pas de bon sens», à son avis.

Les libéraux et le Tchador

Il ajoute que le PLQ est «toujours favorable au port du tchador, sauf pour les candidates libérales», autre aberration à ses yeux, puisque «le tchador, c'est un symbole intégriste». Dès lors, «les libéraux sont complètement discrédités actuellement».

Le ministre responsable des Institutions démocratiques est aussi d'avis que les libéraux de Philippe Couillard sont en train de se discréditer en prônant la lutte à l'intégrisme, tout en dénonçant les orientations prises par le gouvernement en matière de laïcité de l'État.

Or, selon lui, la meilleure façon de combattre la montée de l'intégrisme au Québec demeure d'appuyer la charte des valeurs telle que définie dans le projet de loi 60, qui fait l'objet d'une consultation à compter de mardi en commission parlementaire.

De leur côté, les libéraux ont promis de déposer un projet de loi de lutte à l'intégrisme.

«La charte dit non aux intégristes», dit M. Drainville.

«On envoie un message très, très clair aux intégristes. On les affaiblit», notamment par l'affirmation sans équivoque de l'égalité proclamée entre hommes et femmes, plaide-t-il.

Le projet de loi du gouvernement «fait reculer les intégristes, dit-il encore. On les oblige à se justifier. On leur donne des arguments qui montrent que leur position n'a pas de bon sens». Une fois adopté, ajoute-t-il, il existera donc des moyens légaux d'affaiblir les intégristes.

La lutte à l'intégrisme n'était pas l'objectif poursuivi par le gouvernement, mais elle en sera le résultat, selon lui.

Neutralité au Canada

M. Drainville se dit persuadé que le reste du Canada devrait suivre l'exemple du Québec, dans son affirmation en faveur de la neutralité religieuse de l'État.

«On est en train d'ouvrir les yeux au reste du Canada. Le reste du Canada se rend compte qu'il y en a des accommodements religieux qui sont déraisonnables et qui remettent en question des principes essentiels de notre vie démocratique», comme l'égalité hommes-femmes, dit-il.

«Ce débat est nécessaire», à ses yeux, surtout après l'incident survenu dernièrement à l'Université York de Toronto, alors qu'un étudiant en sociologie a demandé d'être dispensé de certains ateliers, sous prétexte que des étudiantes y participaient. Il disait ne pas vouloir être en présence de femmes, en raison de son appartenance religieuse. Le professeur a refusé sa demande, mais la direction de l'université a rabroué l'enseignant, Paul Grayson, et a infirmé sa décision.