Analyse. On connaît l'issue du vote: à moins d'un revirement imprévu, les circonscriptions d'Outremont et de Viau resteront ce soir dans le giron du Parti libéral du Québec (PLQ). C'est le cas depuis des décennies. Mais cette fois, l'enjeu est différent et dépasse la couleur des circonscriptions. En revenant à l'Assemblée nationale avant les élections générales, Philippe Couillard abat une carte importante et se met dans une situation vulnérable. Tous partis confondus, la vie des chefs de l'opposition a toujours été très difficile à Québec.

Premier indice qu'on ne lui fera pas de quartier: le gouvernement Marois a eu l'inélégance de rappeler la Chambre le jour même du scrutin - il y a habituellement une trêve parlementaire ces jours-là, mais comme le Parti québécois (PQ) n'a présenté aucun candidat, il n'a pas à planifier l'envoi de députés pour prêter main-forte aux bénévoles.

L'absence de candidat péquiste permettra à Québec solidaire de fédérer tous les adversaires des libéraux. On a déjà vu au fédéral, avec Thomas Mulcair, qu'Outremont pouvait voter à gauche. Philippe Couillard sera élu, mais aura probablement moins que les 4800 voix de majorité de Raymond Bachand. Dans une partielle, en décembre 2005, M. Bachand avait eu 1900 voix de majorité.

Déjà, le bureau de vote par anticipation, avec 10% des suffrages, laisse prévoir que beaucoup d'électeurs trouveront autre chose à faire aujourd'hui - sans parler de la météo défavorable.

Même élu ce soir, Philippe Couillard ne fera pas son entrée à l'Assemblée nationale avant le 11 février, à la reprise de la session. Il n'aura que quelques semaines pour se faire valoir, car le budget devrait être déposé rapidement, en mars. Il faudra voir alors si François Legault mettra à exécution sa menace de renverser le gouvernement.

D'ici là, les stratèges péquistes alimenteront les rumeurs d'élections imminentes. Les chiffres du plus récent sondage de Léger Marketing, publiés en fin de semaine, montrent que Pauline Marois est toujours bien loin du compte pour le mandat majoritaire qu'elle convoite.

Que prédire à propos des affrontements entre Philippe Couillard et Pauline Marois? Quand M. Couillard était ministre de la Santé, c'était Louise Harel qui était sa vis-à-vis. Philippe Couillard répondait avec un aplomb certain, mais au Parlement, il est bien plus difficile de poser une question que d'y répondre.

Dans le passé, d'ailleurs, peu de nouveaux chefs de parti ont évité de se présenter hâtivement sur les banquettes de l'opposition. En 1988, Jacques Parizeau a attendu la générale de septembre 1989, bien que Robert Bourassa ait proposé de lui ouvrir une circonscription, sans adversaire, pour l'attirer. Pauline Marois, revenue aux affaires en 2007, elle s'est ouvrir le comté de Charlevoix pour y être élue dans une partielle en septembre. Robert Bourassa, redevenu chef en octobre 1983, a aussi attendu le plus longtemps possible. Réélu dans une élection complémentaire en juin 1985, il ne posera qu'une question à l'Assemblée nationale - sur le libre-échange - avant que l'assemblée ne soit suspendue jusqu'aux élections de décembre.

Dans l'opposition, le plus efficace a sans doute été Bernard Landry. Passé à l'opposition en 2003, il venait de passer cinq ans aux affaires, dont deux comme premier ministre.

Rien à gagner

Historiquement, les nouveaux chefs de parti n'ont guère gagné à se retrouver en Chambre pour attaquer le gouvernement.

Claude Ryan, qui a pris les commandes du PLQ en avril 1978, est entré au Salon bleu un an plus tard, profitant d'une élection complémentaire dans Argenteuil. On a rapidement découvert un politicien pointilleux, tracassier, abrasif. Son parti a perdu les élections de 1981, et les libéraux l'ont chassé de son poste un an plus tard.

Devenu chef en juin 2005, André Boisclair se fera élire dans Pointe-aux-Trembles un an plus tard. Son passage comme chef de l'opposition à l'Assemblée nationale n'a pas fait monter sa cote, au contraire. On se souvient qu'il avait perdu ses moyens quand le Bloc québécois avait endossé une motion conservatrice sur la «nation» québécoise. Son apparition saugrenue à la télé dans un gag de mauvais goût, aux Fêtes de 2007, a scellé son avenir.

Le fait d'être élu à l'Assemblée nationale ne protège pas le chef des critiques, même dans son parti. Au contraire, ses limites et ses faiblesses deviennent tout à coup apparentes. Le chef de l'opposition, par définition, n'est pas au pouvoir, c'est connu. Ce qu'on sait moins, c'est qu'il n'a guère de pouvoirs, hormis celui de choisir sa garde rapprochée, le bouclier idéal pour recevoir les critiques de députés toujours insatisfaits.

Pauline Marois avait eu du mal à faire la cohésion dans ses troupes - elle avait survécu péniblement à une fronde, perdu trois gros canons, les Beaudoin, Curzi et Lapointe, avant que trois autres ne traversent à la Coalition avenir Québec.

Devenu chef, sans adversaire, en avril 1998, Jean Charest a, comme Philippe Couillard, profité de son nouveau statut pour sillonner le Québec afin de restructurer le PLQ. Il a bénéficié de moins de temps, toutefois, car dès septembre, Lucien Bouchard a déclenché une campagne électorale inattendue qui a envoyé l'ancien député fédéral sur la banquette de l'opposition.

On se souvient de Jean Charest comme d'un redoutable debater comme premier ministre. Mais on oublie vite que son passage comme chef de l'opposition a été très difficile. La communauté des affaires avait des doutes sur ses capacités - elle était davantage séduite par Lucien Bouchard. Par conséquent, le PLQ avait même des problèmes à trouver du financement - un problème qui s'est réglé dès qu'ils ont eu le pouvoir à portée de la main.