Ça fera bientôt 29 ans que Roger Breton est au cimetière. Et 27 que le dossier de ce meurtre impuni s'empoussière dans les archives de la justice. Mais voilà que cette affaire revient à la surface, déterrée par un coup de pelle d'une révision de condamnation. L'histoire met en scène plusieurs personnes, dont une avocate aujourd'hui députée de la CAQ.

Une vieille affaire criminelle, déterrée dans le cadre de la révision de condamnation d'Yves Colosse Plamondon, vient hanter une avocate, aujourd'hui députée à l'Assemblée nationale.

Michelyne St-Laurent, députée de Montmorency pour la CAQ, a été questionnée par la Sûreté du Québec, en 1985, en lien avec le vol et le meurtre d'un de ses clients, Roger Breton, survenus en janvier de la même année. Me St-Laurent avait été dénoncée par un autre de ses clients, André Bull Desbiens, qui s'était fait délateur. Finalement, l'avocate n'a été accusée de rien, mais il y avait eu des discussions très vives à ce sujet à la Couronne de Québec, selon des documents que La Presse a consultés. Au point qu'un procureur de la Couronne, Me Serge Roberge, heurté dans ses convictions, s'était retiré du dossier de Plamondon.

À l'époque, Me St-Laurent représentait Roger Breton dans sa cause de divorce.

L'épouse de celui-ci avait demandé le divorce au milieu de l'été 1984, et l'homme avait quitté le domicile familial pour aller vivre seul. L'électricien de 40 ans avait rapidement sorti ses placements de la banque, environ 30 000$. Le 31 janvier 1985, il a été trouvé mort, ligoté et étouffé dans son lit, à son domicile de la 2e Rue, à Québec. Son appartement était sens dessus dessous, et son argent avait disparu.

La thèse du vol était évidente pour les policiers, mais les pistes s'arrêtaient là.

Les aveux de Desbiens

Huit mois plus tard, le 11 septembre 1985, André Bull Desbiens, que Me St-Laurent représentait également, a été arrêté pour le meurtre d'un revendeur de drogue, commis un mois plus tôt. Desbiens s'est alors fait délateur pour couler Yves Colosse Plamondon, considéré comme le criminel numéro un de Québec, à l'époque. Desbiens imputait la responsabilité de trois meurtres à Plamondon. Il s'est aussi ouvert sur plusieurs autres meurtres qui n'avaient rien à voir avec Plamondon. Celui de M. Breton était du lot.

Desbiens décrivait le meurtre de M. Breton comme un vol qui avait mal tourné. Il racontait que c'est son avocate qui l'avait aiguillé sur ce vol, peu de temps après l'avoir sorti de prison. «C'est dans ces journées là qu'elle m'a parlé qu'elle lui avait aidé à sortir son argent et qu'il gardait tout chez lui. Elle me parla que ce dernier était presque toujours saoul, vivait seul et s'appelait Breton. Elle m'a dit que ce serait bon pour moi qu'il vivait seul et que ce serait pas dur à pogner...», lit-on dans la déclaration que Desbiens a faite à la SQ, le 12 septembre 1985.

«Il fut convenu que si je le faisais, un montant d'argent indéterminé lui serait donné», lit-on aussi.

M. Desbiens racontait qu'après différentes péripéties, il avait confié le travail à des «voleurs de maisons», en retour d'une commission. Cette commission s'était finalement élevée à 2000$, et il soutenait avoir donné 500$ à l'avocate, au cours d'un souper au restaurant Le Deauville, à Beauport. Ils ignoraient que M. Breton était mort à ce moment-là, car les voleurs n'en avaient pas soufflé mot. De fait, M. Breton était mort depuis quelques jours quand il a été trouvé.

Criminel d'habitude

Desbiens, un illettré qui avait passé sa jeunesse dans les écoles de réforme et presque toute sa vie adulte en prison, avait été déclaré criminel d'habitude le 22 novembre 1963. Il en avait pris pour 40 ans. Mais au début des années 80, à la suite d'une commission d'enquête sur les criminels d'habitude, le cas de M. Desbiens a été révisé.

Représenté par Me St-Laurent, il était sorti de prison le 9 novembre 1984. Quelques jours plus tard, en compagnie de son avocate, Desbiens racontait sa vie en prison dans le Journal de Québec.

Pendant sa liberté, qui allait durer 10 mois, Desbiens a vécu du crime, notamment la vente de drogue, et a commis trois meurtres, dont celui du revendeur de drogue Claude Simard, qu'il disait avoir fait avec Plamondon, le 13 août 1985.

Les accusations

Les révélations de Desbiens n'ont pas été retenues contre l'avocate, mais ont conduit à la mise en accusation des deux hommes qu'il désignait comme les voleurs. En novembre 1985, Camille Garneau et André Tremblay ont été accusés du meurtre non prémédité de M. Breton. Leur enquête préliminaire s'est ouverte le 16 décembre 1985. Le témoignage de Desbiens a été interrompu à un certain moment par une objection de la défense sur la notion de complot. L'interruption sur ce point de droit a duré... un an et demi!

En juin 1987, le juge Gilles Carle a tranché l'objection et décrété qu'il entendrait la suite du témoignage de Desbiens. Il pressait les parties d'avancer dans le processus, vu le temps écoulé. À la séance suivante, le 18 août 1987, au lieu de faire témoigner Desbiens, le procureur de la Couronne René de la Sablonnière a décrété un arrêt des procédures, au motif qu'il n'y avait pas de corroboration.

Garneau et Tremblay ont été libérés.

À l'époque, Desbiens purgeait sa peine pour ses trois meurtres (changés en homicides involontaires vu sa coopération) dans un chalet dans le bois.

André Bull Desbiens est mort d'un cancer en mars 1995.

Réactions

La Presse a joint Me Roberge, il y a quelque temps. Il nous a indiqué qu'il était toujours lié par le secret professionnel, et qu'à moins d'en être relevé par un juge, il ne pouvait rien dire.

Des membres de la famille Breton ont suivi les procédures de près à l'époque. La Presse s'est entretenue avec trois d'entre eux. Ceux-ci ont été déçus de la tournure des événements et doutent que la lumière soit faite un jour.

NDLR: Le nom de Me St-Laurent est caviardé ou changé pour les mots «membre du Barreau» dans les documents de la révision de condamnation d'Yves Plamondon. Il est cependant visible dans les transcriptions de l'enquête préliminaire de Tremblay et Garneau.

Michelyne St-Laurent nie en bloc

Michelyne St-Laurent nie vigoureusement avoir été impliquée de quelque façon que ce soit dans le vol chez M. Breton. Et jamais les policiers n'ont demandé à la rencontrer à l'époque, dit-elle

«Jamais ils ne m'ont téléphoné ou m'ont demandé d'aller au poste de police, jamais.» Tout cela est mensonge, assure Mme St-Laurent.

Mme St-Laurent affirme n'avoir jamais vu la déclaration d'André Desbiens. Elle ne se souvient pas de s'être entretenue avec M. Duchaîne, le policier qui a été interrogé en 2008 dans le cadre de la révision de condamnation de Plamondon. Elle ne se souvient pas de ce qu'elle aurait pu lui dire, si c'est le cas.

«Cela fait tellement longtemps», dit la femme de 65 ans, dévastée.

De plus, elle a passé 11 ans au Rwanda, au Tribunal pénal international. «Je ne permettrai pas que l'on salisse mon nom. Il y a des gens qui ont intérêt à mentir. Il y a des êtres, pour s'avantager, qui peuvent dire n'importe quoi, surtout dans ce milieu-là», se désole Mme St-Laurent, en faisant allusion à Desbiens.

Mail St-Roch

La députée explique qu'à l'époque, son bureau était dans le mail St-Roch. Il y avait une taverne et un restaurant, où ces gens-là se retrouvaient. Et M. Breton allait aussi à cette taverne, assure-t-elle. Aurait-il éveillé la cupidité de gens mal intentionnés? On ne le saura jamais.

«J'ai fait une carrière à aider les gens, je suis une personne travaillante, de parole. Les gens me faisaient confiance et jamais, je n'ai trahi cette confiance.»

Mme St-Laurent se décrit comme une personne dévouée, disponible, qui a défendu beaucoup de gens, parfois gratuitement.

Ce qu'ils ont dit

Extraits d'interrogatoires tenus en 2008, dans le cadre de la révision de condamnation de Plamondon. Ces extraits ont trait à l'affaire Breton, sur l'opportunité d'accuser l'avocate.

Me Serge Roberge

Procureur de la Couronne en 1985, il a quitté le dossier Plamondon avant le procès. Il a ensuite été sous-ministre à la Sécurité publique puis, à partir de 1994, commissaire à la Commission québécoise des libérations conditionnelles. Interrogé le 27 octobre 2008.

Q: Pouvez-vous nous dire quel était le différend sans mentionner des noms?

R: Ah, c'est sur l'opportunité ou non d'accuser une personne de crime majeur.

Q: Vous étiez d'avis qu'une poursuite était justifiée et d'autres pensaient qu'elle n'était pas justifiée?

R: Exact

Q: Et la direction à l'époque n'a pas soutenu votre position?

R: C'est ça... Et ça m'a fortement questionné... Ça m'a amené à faire une remise en question majeure... je me questionnais dans mes valeurs...

Jean-Pierre Duchaîne

Policier de la SQ, il était responsable d'un groupe d'enquêteurs aux crimes majeurs, en 1985. Aujourd'hui retraité. Interrogé le 10 septembre 2008.

«Fait que là, on a décidé de rencontrer... [ce membre du Barreau]. Je l'ai rencontré avec Me Roberge. C'est là que je l'ai rencontré une soirée complète, O.K. Là, il nous a expliqué qu'est-ce qui en était. De mon souvenir, il y a eu une décision de prise par le ministère de la Justice de ne pas accuser... [ce membre du Barreau]. Puis je pense que c'est là que Me Roberge était en beau fusil, il a décidé de sacrer son camp de là.»

Me René de la Sablonnière

Il était procureur de la Couronne en 1985. Il était à l'oeuvre dans le procès de Plamondon, et dans l'enquête préliminaire des accusés du meurtre de M. Breton. Il a été nommé juge par la suite et l'est toujours. Interrogé le 16 juillet 2008.

«Et je refusais. Les enquêteurs me disaient: écoute, on a une déclaration d'André Desbiens, tu vas l'accuser... Je disais c'est un délateur qui n'est pas confirmé, je ne procède pas... Les enquêteurs sont arrivés avec Serge Roberge qui me disait: bien moi je la porterais, la plainte... moi je disais non, je la porte pas. Ça a fait une discussion qui a peut-être duré une heure, une heure et demie... les policiers disaient: écoutez, vous êtes un contre un, là, porte-la. J'ai dit non, j'ai ma responsabilité professionnelle. Moi je ne suis pas convaincu que je peux le faire, que j'ai une possibilité raisonnable d'obtenir une condamnation...»

Sur l'arrêt des procédures dans l'enquête préliminaire des deux accusés du meurtre de M. Breton:

«Là-dedans, j'avais porté une dénonciation et à l'enquête préliminaire tout ce que j'avais, c'était la déclaration de Desbiens et une déclaration verbale à mon enquêteur, qui était de la Sûreté municipale de Québec, qui disait pas grand-chose en fin de compte de sorte que devant ce fait-là, ultérieurement, j'ai déclaré un arrêt des procédures. Étant donné que mon délateur n'était pas corroboré, X et X ont été libérés et ils ont jamais eu d'autres accusations», dit Me de la Sablonnière.

Sur la crédibilité de Desbiens dans l'affaire Plamondon:

«Desbiens n'est pas capable de mentir, pas parce que c'est pas un menteur, parce qu'il est pas intelligent. Pour conter un mensonge, il faut élaborer un concept théorique qui soit cohérent et s'en rappeler. Et moi, pour l'avoir rencontré, je peux vous dire qu'il n'a pas l'intelligence pour mentir... Je veux pas manquer de respect mais il n'a pas la capacité intellectuelle pour soutenir un mensonge. Alors c'est pour ça que je suis convaincu, moi, qu'il dit la vérité...», dit Me de la Sablonnière.