Les communautés culturelles, les juristes, les garderies privées et maintenant les médecins. Le gouvernement Marois s'est fait de nouveaux ennemis avec le projet de loi 60 sur la Charte de la laïcité, qui prévoit que les médecins seront considérés comme «membre du personnel» quand ils travailleront à l'hôpital.

«Nos membres sont carrément insultés par ce projet de loi», a soutenu Gaétan Barrette, le président de la Fédération des médecins spécialistes, qui compte 9300 membres. Leur mécontentement concerne deux points: d'abord, les médecins de confession juive ou musulmane - ils comptent pour 10% des effectifs - jugent que c'est une limitation inacceptable à leur liberté.

Au surplus, c'est l'ensemble des médecins qui sont outrés d'avoir été assimilés à «des membres du personnel d'un organisme public» quand ils travaillent dans un établissement public. Jeudi, interrogé par La Presse, le ministre Bernard Drainville a soutenu que les médecins étaient considérés comme des employés comme les autres dans son projet de loi. L'annexe II du projet de loi 60 décrit comme «personnes assimilées» au personnel «un médecin, un dentiste ou une sage-femme lorsque cette personne exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public de santé».

Contestation en vue

«C'est complètement irrégulier, on n'est pas des employés de l'État. On voit là une manoeuvre juridique injustifiable. C'est unilatéral et du jamais vu, en aucune circonstance et dans quelque règlement que ce soit! C'est sûr qu'on va contester!», prévient Dr Barrette.

Même son de cloche du côté des omnipraticiens, où le directeur des communications, Jean-Pierre Dion, prévoit un ressac important chez les 8400 membres considérés tout à coup comme des fonctionnaires. La Fédération des omnipraticiens (FMOQ) fera parvenir dès lundi un sondage à ses membres pour connaître leur opinion. M. Dion ne sait pas comment les médecins recevront les dispositions sur le port du voile ou de la kippa, mais il est bien certain que le nouveau statut conféré aux médecins dans la loi ne passera pas la rampe. Les médecins sont des travailleurs autonomes.

Pour le Dr Barrette, «le statut de travailleur autonome pour les médecins, c'est viscéral. On pourrait se mobiliser rapidement, faire une manifestation demain matin là-dessus au centre-ville de Montréal!, dit-il. Les gens ne sont pas dans la rue actuellement, ils sont convaincus que le projet de loi ne passera jamais. Vous pouvez être assurés qu'on se fera entendre en commission parlementaire!».

Le projet de loi prévoit un régime distinct pour le secteur de la santé. Les établissements pourront se soustraire pour une période indéterminée aux dispositions de la Charte s'ils peuvent démontrer que l'élément religieux fait partie intrinsèque de leur histoire. Jeudi, M. Drainville a soutenu que cette disposition ne se limitait pas à l'Hôpital général juif de Montréal. Gaétan Barrette abonde dans le même sens. Il y a beaucoup de médecins de confession juive au Jewish, mais on en trouve aussi beaucoup à McGill, observe-t-il. Selon lui, il faut «constater le cynisme et le côté cavalier de l'action posée par ce gouvernement».

«Actuellement, tout le monde est furieux, offusqué. Le statut de travailleur autonome est intouchable et on ne peut pas laisser passer ça, c'est contre la fibre de tous les docteurs», poursuit le Dr Barrette, qui souligne qu'il a reçu passablement de courriels de membres qui désapprouvent le geste du gouvernement. «Le fait d'inventer l'expression «personnes assimilées à des membres du personnel d'un organisme public» constitue une grossière manipulation. Le ministre doit s'engager, dès maintenant, à modifier le texte pour retirer les médecins des champs d'application prévus par ce projet de loi. Jamais nous ne reculerons sur ce point», martèle-t-il.

Pour le spécialiste, c'est bien davantage du côté des accommodements déraisonnables que le gouvernement devrait se tourner. «Le problème, c'est les accommodements, pas le voile. Le projet de loi est idiot, il ferme l'emploi à des infirmières, à des secrétaires. Le problème vient des employés qui disent: je suis dans ma fête de ci ou de ça. Ou encore d'un étudiant en médecine qui ne veut pas poser un acte parce que c'est contre sa religion ou qui veut aller prier à dix heures du matin quand il est au bloc opératoire. Ceux-là, qu'ils changent de job!», lance-t-il en soulignant qu'il est régulièrement exposé à des cas de cette nature.

Pas d'urgence

Du côté des omnipraticiens «on n'acceptera pas d'être assimilés à des employés du gouvernement, c'est grossier! Dans toutes les législations, dans tous les règlements, on a toujours considéré les médecins comme des travailleurs autonomes», ajoute leur directeur des communications, Jean-Pierre Dion, qui est convaincu que les médecins partageront cet avis. Le sondage que la Fédération enverra à ses membres lundi touchera aussi l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires, une question qui devrait laisser les médecins plutôt indifférents à l'extérieur de la grande région de Montréal, prévoit-il.

Les médecins «savent bien que cela ne deviendra pas une loi, ce qui réduit le sentiment d'urgence. La Fédération n'est pas là pour partir des guerres, mais on espère que le gouvernement va comprendre le gros bon sens. Se ramasser au tribunal, ce n'est souhaitable pour personne», conclut le porte-parole des omnipraticiens.