La Commission des droits de la personne estime que le projet de Charte des valeurs québécoises contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne. Le projet de Bernard Drainville va «à l'encontre de l'esprit et de la lettre de la Charte, qui a pour objet la protection des droits de tous et toutes», estime l'organisme dans un avis rendu public jeudi matin.

> L'intégral des commentaires de la Commission (PDF)

«Le droit de manifester ses croyances religieuses est protégé par la Charte, qui garantit la liberté de religion et la liberté de conscience», affirme l'organisme dans un commentaire sur le contenu du projet du gouvernement.

Pour la Commission plusieurs propositions du document rendu public le mois dernier par le gouvernement Marois «portent atteintes aux libertés et droits fondamentaux».

«La Commission estime notamment que l'interdiction du port de signes religieux ''ostentatoires'' par les employés de l'État ne passe pas le test de la Charte québécoise et que la proposition de formaliser les accommodements dits ''religieux'' risque de restreindre la portée des accommodements accordés en vertu des autres motifs de discrimination, entre autres pour les personnes en situation de handicap», affirme l'organisme dans son commentaire.

« Les orientations gouvernementales soulèvent de vives inquiétudes. Elles sont en nette rupture avec la Charte, cette loi quasi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale en 1975. Il s'agit de la proposition de modification de la Charte la plus radicale depuis son adoption », observe le président de la Commission, Jacques Frémont, qui a aussi été doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Dans une première sortie, il y a quelques semaines M. Frémont avait relevé l'augmentation des frictions entre des représentants des communautés visibles et des Québécois de souche. Il avait dit y voir l'impact des propositions du gouvernement.

Pour la Commission, les propositions sur l'interdiction du port de signes religieux « ostentatoires » par les employés des organismes publics, «si elles étaient adoptées, seraient manifestement en violation des dispositions de la Charte et ne résisteraient pas à l'examen des tribunaux dans l'état actuel de la jurisprudence. Elles ne pourraient être valides sans le recours à une clause dérogatoire, un recours qui ne peut se faire sans respecter d'importantes exigences de fond et de forme» poursuit l'organisme.

L'interdiction du port de signes religieux visibles «aurait donc pour effet d'exclure des personnes d'un nombre important d'emplois, en fonction de leurs signes religieux et des perceptions qu'on leur infère, portant ainsi atteinte aux droits à la liberté d'expression et à l'égalité en emploi».

Pour l'organisme, la proposition d'interdiction de signes religieux «témoigne d'une mauvaise conception de la liberté de religion telle que protégée par la Charte ainsi que par le droit international. Elle traduit également de manière erronée l'obligation de neutralité de l'État. En effet, cette obligation s'applique aux institutions de l'État, mais non à ses agents, sinon par un devoir de réserve et d'impartialité». 

« Il n'est pas raisonnable de présumer de la partialité d'un employé de l'État du simple fait qu'il porte un signe religieux », explique la Commission dans ses commentaires. Le fait de lier le port de signes religieux « ostentatoires » à la définition du prosélytisme (tenter de convaincre l'autre d'adhérer à sa religion) sans tenir compte du comportement de la personne, fausse de manière importante l'approche développée en matière de protection de la liberté de religion et ouvre la porte à une restriction qui serait contraire à la Charte québécoise».

Égalité des sexes déjà réglée

M. Frémont «s'interroge sur la volonté annoncée dans les orientations gouvernementales de modifier les balises qui encadrent actuellement les demandes d'accommodement raisonnable en définissant la notion de la contrainte excessive. L'une des modifications proposées viserait à « renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes » et à faire de ce principe la première condition d'acceptation des demandes d'accommodement.

Or, souligne-t-on, «la Charte québécoise offre déjà une protection contre la discrimination fondée sur le sexe et garantit le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes depuis 1975. Qui plus est, la disposition interprétative de l'article 50.1, ajoutée à la Charte en 2008, réitère que les droits sont garantis également aux hommes et aux femmes. Ainsi, «il existe déjà des balises à l'accommodement et qu'un accommodement qui porte atteinte au droit à l'égalité, y compris à l'égalité des femmes et des hommes, ne doit pas être accordé.

Les orientations gouvernementales proposent d'encadrer les accommodements en ayant aussi recours aux notions de « valeurs communes » et de « valeurs collectives fondamentales », des notions imprécises, estime l'organisme.

De plus, la volonté gouvernementale de formaliser les accommodements raisonnables uniquement en matière religieuse comporte plusieurs difficultés d'ordre juridique et pratique. Ces éléments sont susceptibles d'entraîner des effets négatifs sur l'exercice concret des droits et libertés, dont ceux des personnes en situation de handicap, des femmes enceintes et des personnes âgées.