En entrevue avec notre chroniqueur Yves Boisvert, l'ex-premier ministre Lucien Bouchard plaide pour un compromis susceptible de «rassembler les Québécois»: «une charte de la laïcité, et non des "valeurs"», qui s'inspirerait largement de la commission Bouchard-Taylor.

1. Le compromis

Jacques Parizeau et Lucien Bouchard la main dans la main? On n'en est pas là, mais devant la «Charte des valeurs», les deux anciens premiers ministres sont apparemment en harmonie aussi parfaite que rare.

«La solution apparaît, M. Parizeau met le doigt dessus [Journal de Montréal]», dit M. Bouchard, dans une entrevue qu'il nous accordait hier à son bureau du centre-ville.

«Il y a une rare fenêtre politique qui s'ouvre, j'espère que le gouvernement saisira l'occasion.

«Ce qu'écrit M. Parizeau, c'est le bon sens, ça nous ramène aux vraies valeurs de tolérance et d'ouverture de la société québécoise, mais en marquant le principe fondamental de la laïcité, décliné autour d'un minimum de règles.»

Le compromis est assez simple, dit Lucien Bouchard: «Les signes religieux seraient interdits uniquement pour ceux qui exercent des fonctions coercitives de l'État: juges, procureurs, gardiens de prison, policiers; les services de l'État seraient donnés et reçus à visage découvert; les textes réaffirmeraient la laïcité de l'État, la neutralité religieuse, l'égalité hommes-femmes et les règles de sagesse déjà exprimées par les tribunaux.

«Certains vont trouver que ce n'est pas assez, mais personne ne va trouver que ça va trop loin.»

2. Plus catholiques que les évêques

«On ne peut pas faire ça sans enlever le crucifix à l'Assemblée nationale, toutefois. On est mûrs pour ça. Même l'Assemblée des évêques est d'accord!

«Est-ce qu'on voudrait être plus catholique, pardon plus patrimonial, que les évêques?», demande-t-il sourire en coin.

3. Le coup de circuit

Ce compromis autour des grandes lignes du rapport signé par Charles Taylor et son frère Gérard est-il réaliste, vu les déclarations répétées du ministre Drainville?

«Pourquoi pas? Le gouvernement peut frapper un coup de circuit! Il est possible, je dirais même probable, que l'Assemblée nationale vote à l'unanimité un tel compromis. Ce serait un triomphe. Au lieu de diviser les Québécois, ça les rassemblerait, je pense que tout le monde serait soulagé et même fier. Ce serait une charte de la laïcité, pas des «valeurs». Ça montrerait qu'on est capables de se réunir autour de grands enjeux.»

4. La ligne de Lévesque

Depuis le mois d'août, Lucien Bouchard se retient d'intervenir. «On risque de m'imputer des motifs affectifs. Mais je trouvais que le débat était très mal engagé et je m'inquiétais. On allait vers le bas, regardez les débats à l'Assemblée nationale, les incidents dans la rue... Ce n'est pas bon pour le Québec, ni pour la perception de ce que serait un Québec souverain, qui exercerait ses pouvoirs sans contraintes. Ça affecte la réputation du Québec. Et ce n'est pas comme ça qu'on va mobiliser les jeunes pour l'avenir.

«Voyez comme ça divise Montréal et les régions, les minorités les unes contre les autres, même dans les familles, on a des chicanes sur des sujets qui ne semblaient pas poser de problèmes.

«Mais toutes les critiques ont été faites, je n'ai rien à ajouter. Ce qui m'intéresse, c'est la solution. M. Parizeau nous invite à revenir à la raison. On lui a reproché son discours le soir du référendum, mais j'ai beaucoup côtoyé M. Parizeau: il est dans la droite ligne de René Lévesque, et de ce que le PQ a toujours été, fondamentalement tolérant, ouvert, démocrate. Sa position ne me surprend pas.»

5. Sortie... vers le haut

M. Parizeau invoque un argument stratégique: la Charte, dans son état actuel, envoie le message que seul le gouvernement fédéral est apte à protéger les minorités.

«Il a raison! Toutes sortes de gens vont essayer d'en profiter. Certains imputent des motifs électoralistes au Parti québécois. Mais faire une élection là-dessus, en tentant d'exploiter des motivations moins nobles, ça nous ferait tomber dans des zones où on ne veut pas aller, et de toute manière, ça ne marche pas.

«Le compromis qui se dessine, c'est une fenêtre... mais une fenêtre vers le haut!

«Je remarque aussi que les lignes classiques entre les souverainistes ne tiennent pas dans ce débat; M. Parizeau, Jean Dorion (ex-député du Bloc, ex-président de la SSJB), Yves Beauchemin: ces gens-là ne sont pas suspects de sympathies fédéralistes ou multiculturalistes!» Ils se sont pourtant prononcés contre l'interdiction trop large des signes religieux.

6. «J'offre mon aide»

M. Bouchard n'a pas toujours goûté les textes de Jacques Parizeau, notamment quand il critiquait son gouvernement - parfois en s'en moquant. On risque de lui reprocher, à lui aussi, son intervention.

«Moi, ça me blesse; d'abord, j'ai eu trois belles-mères, je les ai toutes aimées et admirées énormément. C'est un geste de citoyen que fait M. Parizeau, il ne le fait pas pour nuire au gouvernement ou pour un quelconque gain.

«Il faut que Pauline Marois saisisse l'occasion: au lieu d'être une victime, son gouvernement peut obtenir un gain politique, et surtout un gain pour le Québec. C'est tout ce qui compte. J'offre mon aide. Je ne veux pas poser en médiateur, je veux simplement aider à trouver une solution, dans quelque rôle que voudra me faire jouer la première ministre, peut-être avec d'anciens premiers ministres... Le gouvernement ne peut pas laisser passer cette occasion pour le Québec.»