Avec le projet de Charte des valeurs présenté par le Parti québécois, «le feu commence à prendre dans notre société», a averti l'ex-premier ministre Jacques Parizeau dans une entrevue accordée à l'animateur Paul Arcand.

L'interdiction des signes religieux stipulée dans le projet de charte fait peur aux immigrants, a déploré M. Parizeau. «Les immigrants de fraîche date, qui parlent d'ailleurs un excellent français, commencent à avoir peur. Ici, ils avaient la paix. Et nous, on entre là-dedans avec nos gros sabots. Et on vise pas les musulmans, mais les musulmanes !»

Avec cette charte, c'est la première fois que le Québec légifère pour interdire quoi que ce soit de religieux, a-t-il souligné. «Passer une législation de ce genre là, essentiellement destiné à un certain nombre de femmes musulmanes, c'est gênant», dit-il.

Dans une chronique publiée ce matin dans le Journal de Montréal, Jacques Parizeau a plaidé pour un assouplissement de la charte, qu'il estime trop contraignante. 

Selon, M. Parizeau il n'est pas nécessaire d'interdire le port de signes religieux aux employés de l'État. Sa position sur la Charte des valeurs s'inspire largement du rapport Bouchard-Taylor. «Pour le moment», il limiterait l'interdiction du port de signes religieux aux policiers, aux juges et aux gardiens de prison. Jacques Parizeau plaide aussi en faveur du retrait du crucifix de l'Assemblée nationale.

Ainsi, M. Parizeau se dit en faveur de la modification la Charte des droits et libertés et de l'instauration de balises claires pour gérer les demandes d'accommodements religieux. M. Parizeau insiste par ailleurs sur l'obligation de donner ou recevoir des services publics à visage découvert partout au Québec. «Personnellement, j'irais plus loin que cela», ajoute-t-il cependant de façon sibylline sur la question du voile intégral.

À l'animateur Paul Arcand, il a indiqué que le projet de charte nuirait à la souveraineté. L'animateur lui a demandé s'il cherchait, avec cette position «à se racheter» pour ses déclarations au soir de la défaite référendaire. «Ça n'a aucun rapport», a répondu M. Parizeau.

«Ce soir-là, j'ai ciblé DES votes ethniques. Je parlais des congrès italien, grec et juif qui ont fait front commun et qui avaient eu une activité politique extraordinaire avec un succès formidable.»

Réactions à Québec

Le gouvernement Marois tiendra compte des critiques sévères formulées par l'ancien premier ministre Jacques Parizeau, en rédigeant la mouture finale de sa controversée charte des valeurs, attendue cet automne. Mais il est trop tôt pour dire de quelle façon.

Même si M. Parizeau a apporté de l'eau au moulin des détracteurs de la charte, personne au gouvernement n'a voulu le blâmer ou critiquer sa sortie jeudi. Les membres du gouvernement étaient en fait prudents dans leurs commentaires et peu bavards, après avoir pris connaissance de la position peu favorable au gouvernement de M. Parizeau, qui demeure une figure d'autorité dans les cercles souverainistes 17 ans après son retrait de la vie politique.

Sa prise de position a même été jugée «très constructive» par le ministre responsable, Bernard Drainville, et ses arguments seront pris en considération lors de la rédaction de son projet de loi.

«Monsieur Parizeau, c'est pas n'importe qui. Il a un poids certain. Il a toute la crédibilité que lui donne son titre d'ancien premier ministre du Québec», a reconnu M. Drainville, lors d'un bref point de presse.

Contrairement au gouvernement, M. Parizeau juge qu'il n'est pas pertinent d'interdire à tous les employés de l'État de porter des signes religieux. Il estime plutôt, comme le faisait la commission Bouchard-Taylor, que seules les personnes en autorité avec «pouvoir de contrainte», nommément les juges et les policiers, devraient s'abstenir de porter des signes religieux ostentatoires. Il plaide aussi, contrairement au gouvernement, pour que Québec retire le crucifix qui trône à l'Assemblée nationale.

Sur la question de la laïcisation de l'État québécois, M. Parizeau reproche au gouvernement de se présenter «avec ses gros sabots» pour promouvoir un projet qui, dans les faits, est «essentiellement destiné à un certain nombre de femmes musulmanes», selon lui.

«C'est gênant», tranche celui qui a dirigé le Québec de 1994 à 1996. Car «il y a des femmes (musulmanes) qui vont perdre leur job», en refusant d'enlever leur voile, si le projet de charte des valeurs demeure tel quel, a dit craindre M. Parizeau, jeudi matin, au cours d'une longue entrevue accordée à l'animateur radiophonique Paul Arcand, de Cogeco.

Il met en garde le gouvernement Marois contre la tentation de reproduire le modèle français, «où on réglemente tout» pour instituer un État totalement neutre sur le plan religieux.

M. Drainville a reconnu que certains aspects de la charte posaient problème, comme le droit accordé à certains (cégeps, universités, hôpitaux et municipalités) d'être exemptés de son application. Ce volet de la charte «est plein de trous» et de contradictions, a fait valoir quant à lui M. Parizeau.

Le libellé du droit de retrait sera donc reformulé, mais il est «trop tôt» pour dire dans quel sens, a renchéri le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, qui s'est borné à dire que le projet de charte sera «bonifié» dans les prochaines semaines.

«Laissez-nous travailler!», a demandé le ministre Lisée aux reporters qui cherchaient à savoir si le gouvernement s'apprêtait à retirer l'exemption prévue ou au contraire à l'étendre davantage.

Il n'est cependant «pas question de reculer sur les grands principes» inscrits dans la charte, comme l'égalité hommes-femmes et la proclamation de la neutralité religieuse de l'État, a affirmé M. Drainville.

M. Parizeau a «le droit de prendre position comme tous les citoyens du Québec et de contribuer au débat», s'est contentée de dire de son côté la première ministre Pauline Marois, sans prendre aucune question des journalistes présents.

L'opposition libérale a réagi en disant que le gouvernement devrait se concentrer sur les éléments qui font consensus entre les différents partis pour faire adopter son projet de charte, mais elle doute que l'équipe Marois ira en ce sens, selon le chef de l'opposition officielle, Jean-Marc Fournier.

Cette position de compromis est partagée par Québec solidaire, qui approuve «ce que M. Parizeau propose dans son texte». Une charte des valeurs pourrait ainsi être adoptée rapidement, a indiqué la porte-parole, Françoise David.

Un consensus semble émerger sur certains points. Par exemple, la classe politique s'entend pour défendre l'objectif de rédiger des balises légales destinées à encadrer les demandes d'accommodement religieux. M. Parizeau s'est montré lui aussi favorable à cette idée. «Il faut des directives», a-t-il dit.

Invité en ondes, par ailleurs, à dire si, selon lui, la charte des valeurs québécoises allait faire reculer l'adhésion à la souveraineté dans la population, l'ancien chef souverainiste a laissé tomber: «C'est évident».

-Avec la Presse Canadienne