Une sortie intempestive de Daniel Breton provoque un malaise au sein du gouvernement péquiste. L'ex-ministre de l'Environnement a dénoncé ce matin l'inauguration près d'Amqui du plus grand parc éolien au pays, contrôlé par Enbridge et Électricité de France, en affirmant qu'il ne fallait pas laisser les compagnies étrangères développer l'éolien au Québec.

«Ce n'est que l'opinion de M. Breton. Ce n'est pas l'opinion du gouvernement du Québec, ce n'est pas la mienne, ni celle de la ministre des Ressources naturelles», a cinglé le député de Matane-Matapédia et ministre du Tourisme, Pascal Bérubé.

M. Bérubé qualifie la déclaration «d'au mieux un souhait». Il a même ajouté qu'il avait prévenu M. Breton à l'avance qu'une telle déclaration serait malavisée.

Visiblement mal à l'aise, la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, a refusé de commenter directement ces propos.

Des membres du cabinet de la première ministre Pauline Marois ont été vus en train de savonner le député Breton. Après cette «petite discussion», il a affirmé qu'on l'avait «mal compris». 

«On veut travailler avec les entreprises de partout dans le monde, mais je veux m'assurer qu'on soit maître chez nous, c'est-à-dire maître de notre développement, qu'on soit maître de notre expertise. On peut travailler avec des entreprises étrangères, mais quand on parle que tous les profits, toute la propriété est étrangère, moi, je ne suis pas à l'aise avec ça du tout», a-t-il dit.

Contre le projet Enbridge-EDF

Plus tôt ce matin, M. Breton a pris l'initiative de faire une déclaration aux médias pour dénoncer le parc éolien de 300MW inauguré à Lac Alfred, près d'Amqui dans la Matapédia. Ce projet de 700 millions de dollars, le plus important au pays, a été lancé sous le précédent gouvernement libéral. Il a créé 400 emplois directs et des retombées économiques de plus de 100 millions durant la construction. La phase d'exploitation qui commence créera 15 emplois. Elle générera environ 750 000 dollars par année en redevances pour les municipalités, environ 500 000 dollars en loyer payé par des propriétaires privés. Mais le projet est piloté par deux compagnies non québécoises, déplore M. Breton.

«Ce contrat-là appartient à 50% à une compagnie pétrolière albertaine, Enbridge, et à 50% à Électricité de France (EDF). Je comprends qu'il y a des emplois en jeu et que les emplois sont importants pour cette région. Mais moi, je veux beaucoup plus que ça, le Parti québécois veut beaucoup plus que ça. Ce qu'on veut, c'est les profits ici, et la propriété ici. C'est ça, être maître chez nous. Je ne suis pas très content que le Parti libéral envoie les profits à l'étranger.»

«Qu'une compagnie pétrolière albertaine et EDF, qui n'a pas d'expérience en éolien, viennent faire ce projet-là, je trouve que ça n'a aucun sens», a-t-il ajouté.

En fait, les deux entreprises sont aussi partenaires dans un projet de parc éolien, de 170 millions de dollars, au Massif du Sud, et un autre à 200 millions à Saint-Robert-Bellarmin, en Estrie. EDF érigera aussi un vaste parc éolien de 350MW près de l'autoroute 175, qui relie Québec au Saguenay.

Il faut être «maître chez nous», a lancé M. Breton dans sa déclaration, en reprenant le slogan du groupe militant qu'il dirigeait comme environnementaliste. Il a vanté la récente annonce en éolien du gouvernement péquiste, qui prévoit l'octroi de contrats de gré à gré pour favoriser les MRC locales et des communautés autochtones.  

Troisième point de presse

M. Breton a ensuite offert un troisième point de presse de la journée ce midi. Il a réagi aux critiques du ministre Bérubé. «J'en parlerai avec Pascal», a-t-il lancé. Il croit avoir raison. «Que l'éolien se fasse avec propriété et profit principalement au Québec, c'est ce qui est dans notre programme. Donc je suis en droite ligne avec notre programme.»

Il a indiqué que M. Bérubé, député gaspésien, était moins à l'aise que lui à critiquer le projet Enbridge-EDF, qui crée des emplois dans sa région. «Je peux comprendre,  c'est dans sa circonscription, c'est plus touchy...», a-t-il dit.

M. Breton est adjoint parlementaire à l'électrification des transports. L'éolien ne figure pas parmi ses dossiers. Pourquoi s'en mêler? Il explique être un spécialiste. «Ça fait assez d'années que je travaille sur le dossier de l'énergie, vous savez que je sais de quoi je parle.»

«Tout ce qui a rapport avec les énergies vertes, je suis un spécialiste», a-t-il ajouté.  

Une farce, dit l'opposition

Daniel Breton est devenu une «farce», croit le caquiste François Bonnardel. «C'est un discours qui fait peur aux investisseurs, un discours de colonisé». La Coalition avenir Québec dit même à la blague ne pas vouloir présenter de candidat contre M. Breton à la prochaine élection, car ses déclarations nuiraient aux péquistes.

« M. Breton travaille, je pense, pour redevenir député indépendant, a quant à lui cinglé le libéral Laurent Lessard. Et les plus grandes sanctions viennent directement de leur propre caucus, dès qu'il ouvre la bouche, ils frappent dessus. Et ils disent, ça ne compte pas ce qu'il dit, écoutez plutôt ce que nous autres les ministres ont dit, lui ce n'est pas important.

Québec solidaire a appuyé M. Breton. «Il a raison de s'inquiéter de la mainmise étrangère sur le secteur éolien québécois. Le développement de l'hydro-électricité au Québec est allé de pair avec une reprise en main de l'expertise technique. C'est à tort que certains dépeignent cette position comme du protectionnisme ou une fermeture aux collaborations avec des entreprises étrangères», a déclaré Amir Khadir, député de Mercier.

Le maire d'Amqui aussi contre le projet

Le maire d'Amqui, Gaétan Ruest, avait déjà critiqué lui aussi le nouveau parc éolien d'Enbridge et EDF. «C'est une insulte à l'intelligence et à la capacité des Québécois, alors que nous avons une Caisse de dépôt qui cherche des placements stables alors que les parcs éoliens génèrent au minimum entre 12 à 15 % des revenus et des profits nets par année. Là, EDF va chercher un partenaire dans le pétrole de l'Ouest canadien. La filière énergétique devrait être réservée à l'enrichissement collectif des Québécois. Les profits s'en vont en France et dans l'ouest», avait-il déclaré en 2011.

Breton pour Siemens

Il y a quelques mois, M. Breton exprimait pourtant une position contraire au sujet du privé. Il accusait le gouvernement Charest de ne pas avoir conclu d'entente avec une compagnie étrangère, Siemens. «Siemens est allée voir le président d'Hydro-Québec et le premier ministre (Charest) pour leur proposer la chose suivante: on vous propose d'installer 4 000 mégawatts d'éoliennes là où il y a les grands barrages, de créer 2500 emplois à temps plein, permanents - pas 800, pas 300, 2500 - pas le temps de la construction, tout le temps, et de construire, en collaboration avec Hydro-Québec, un centre d'expertise, de recherche et développement dans l'éolien avec l'IREC. Réponse de votre gouvernement: Non», avait-il dénoncé à l'Assemblée nationale.