Le gouvernement Marois s'en remettra «au gros bon sens» et à la «discussion» avec les employés pour trancher les litiges - prévisibles - en matière de signes religieux «ostentatoires» et d'accommodements raisonnables, deux questions délicates qu'il compte encadrer avec un projet de loi déposé cet automne.

«Ce qui nous divise, ce ne sont pas les pratiques religieuses des uns et des autres, c'est l'impression de privilège, d'inégalité, l'impression que nous ne sommes pas tous égaux, qu'il n'y a pas de balises», a affirmé mardi le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, en dévoilant les intentions de Québec.

Certaines feront vite consensus: par exemple, enchâsser dans la Charte des droits et libertés l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la neutralité religieuse de l'État, tout en respectant le patrimoine historique.

Promettant plus «d'harmonie et de cohésion dans la société», Québec propose un parcours sinueux, une politique aux nombreuses exceptions, sans dispositif pour en assurer l'application. Ainsi, Québec entend proscrire pour tous ses employés, ainsi que ceux des hôpitaux, des universités et des municipalités le port de signes religieux «ostentatoires» - comme le voile pour les femmes musulmanes, le turban pour les sikhs ou la kippa juive. Les employés des centres de la petite enfance et des garderies comme des écoles privées subventionnées devront aussi respecter cette règle si la loi est adoptée. Comme le préconisait la commission Bouchard-Taylor, les juges, les policiers et les gardiens de prison devront aussi s'abstenir de porter un signe religieux ostentatoire, parce qu'ils incarnent le pouvoir de l'État.

Les villes, les universités et les hôpitaux pourront, par décision de leur conseil, soustraire leurs employés à cette mesure, un «droit de retrait» renouvelable tous les cinq ans.

Selon M. Drainville, cette option de retrait est une mesure temporaire, transitoire. «On ne veut pas que cela permette à ces institutions de se sortir systématiquement du cadre», explique-t-il. Cette possibilité ne sera pas offerte aux commissions scolaires et aux écoles, à cause du message que cela enverrait «aux enfants, plus influençables et vulnérables».

Autre exception: «tous les élus», de l'Assemblée nationale jusqu'aux conseils des villes et des commissions scolaires, seront libres d'arborer les signes religieux qu'ils désirent.

Le Québec pourrait avoir une première ministre voilée si les électeurs le décident un jour, a admis M. Drainville. Qu'adviendra-t-il si, comme à Saguenay, un conseil municipal décide que ses réunions débuteront par une prière? Un juge qui demande à l'accusé de jurer sur la Bible compromet-il son impartialité? Le ministre Drainville a évité de trancher en point de presse.

Il se dit convaincu que ce «projet est constitutionnel» et passera le test des tribunaux. Pas question pour l'heure de scinder le projet pour faire adopter les parties plus consensuelles, mais Québec est ouvert à des bonifications, a toutefois indiqué M. Drainville.

Visible ou ostentatoires

En revanche, Québec compte permettre à ses employés d'arborer discrètement des signes à connotation religieuse. Ainsi, une petite croix au cou sera autorisée, alors qu'une autre plus visible serait refusée, a expliqué M. Drainville. La politique vise à proscrire un signe «très apparent, très démonstratif qui envoie clairement le message: je suis croyant et voici ma religion», illustre-t-il. Le port du voile ou du turban, dans ce contexte, ne passerait pas le test.

Mais l'application de cette mesure comporte «une zone d'interprétation, une zone grise», convient M. Drainville. Aucun mécanisme n'est prévu en cas de litige: les employeurs ou les responsables de ressources humaines auront à discuter avec les salariés, a indiqué le ministre.

«Un calvaire à appliquer»

Pour la Coalition avenir Québec, la députée Nathalie  Roy a tourné en ridicule l'arbitraire de la mesure. Cette politique «sera le chemin de croix du gouvernement péquiste, ce sera un calvaire à appliquer», a-t-elle lancé. Sourire en coin, elle a exhibé un bijou - une petite croix, jugée acceptable par le gouvernement -, puis une autre - qui serait prohibée -, et une troisième, de taille moyenne, bien plus difficile à classer.

Du côté libéral, le député Marc Tanguay a souligné que Québec pourrait vite faire consensus sur quelques questions. «On convient que l'État doit être neutre, l'égalité entre les sexes est cruciale.» Mais interdire le port d'un signe religieux est une atteinte aux libertés fondamentales, une embûche pour l'embauche d'un groupe de citoyens, et le Parti libéral du Québec «ne sera pas complice de cette négation des droits», a-t-il dit.

Selon Bernard Drainville, pas question de bannir le sapin de Noël. «Il va rester là... et continuer à s'appeler Noël», résume-t-il. Le crucifix ne sera pas décroché à l'Assemblée nationale, «au nom du patrimoine historique». «Le Québec n'est pas une page blanche, rappelle-t-il, on a fait un bout».

Québec entend aussi inclure dans la Charte des droits et libertés les «balises» qui encadreront les «accommodements raisonnables», qui ont alimenté le débat dans l'opinion publique depuis 2006.

Une demande d'accommodement devrait donc franchir quatre «tests» avant d'être acceptée. On devra établir si ces aménagements créent une discrimination entre les employés - «voir une femme faire de l'exercice par la fenêtre d'un centre de conditionnement physique, ça ne porte pas atteinte aux droits», observe M. Drainville. Les accommodements devront être jugés à l'aune des coûts et du fonctionnement d'une entreprise - un employeur pourra plaider qu'il ne peut accorder de congés religieux ou offrir une salle de prière dans l'édifice. On pourrait aussi refuser le port du turban pour un travail qui nécessite un casque de sécurité, a illustré M. Drainville.

Le gouvernement soumettra ses propositions à la population sur un site internet, et une ligne téléphonique réservée permettra de recueillir les commentaires des citoyens.

.