La Charte des valeurs québécoises du gouvernement péquiste est encore loin d'être adoptée, mais déjà, le coprésident de la Commission Bouchard-Taylor s'insurge contre la possible interdiction du port de symboles religieux dans les institutions publiques. Il s'agirait d'«une erreur capitale» rappelant la situation dans la Russie de Vladimir Poutine, soutient le philosophe Charles Taylor.

Plusieurs autres obstacles se dressent sur le chemin du ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville: il doit présenter le document d'orientation avant la rentrée, convaincre l'opposition majoritaire avant le déclenchement des élections et se préparer ensuite aux contestations juridiques. Survol des étapes d'un débat qui, comme en 2008, risque fort de se faire dans une perspective préélectorale.

> La consultation avant la loi

Le gouvernement péquiste présentera un document d'orientation à la rentrée parlementaire, en septembre. On y trouvera l'essentiel du projet de Charte des valeurs québécoises, mais sans que celle-ci soit formulée en articles de loi. Une consultation rapide sera ensuite organisée. Le ministre Drainville ne donne pas de détails sur la formule retenue. On promet seulement de ne pas refaire un long exercice comme celui de la commission Bouchard-Taylor. Le projet de loi pour créer la Charte sera déposé plus tard cet automne. C'est à ce moment-là que se tiendra la véritable consultation, en commission parlementaire. Un exercice qui s'annonce costaud.

> De la laïcité aux «valeurs»

On sait déjà que la Charte parlera de valeurs québécoises plutôt que de laïcité, et d'accommodements religieux au lieu d'accommodements raisonnables. Ce vocable est plus payant, selon un sondage commandé par le gouvernement. À la dernière campagne électorale, le Parti québécois promettait une Charte qui énoncerait que le Québec est «neutre» par rapport aux croyances et qui ferait primer l'égalité entre les hommes et les femmes sur la liberté de religion. On ne pourrait plus refuser un service public, comme un examen de conduite, sous prétexte qu'il est donné par une femme. Cette position demeure.

> Plus loin que Bouchard-Taylor

La Charte balisera aussi les demandes d'accommodements. Le rapport Bouchard-Taylor proposait d'interdire le port de signes religieux ostensibles, comme le hijab ou le turban, aux policiers, gardiens de prison, juges et avocats. Le gouvernement veut les interdire à tous les employés de la fonction publique et parapublique, comme les infirmiers et les enseignants. Mais il trace la ligne à partir de la notion de service public. Ces signes seraient permis dans les garderies privées non subventionnées ou les écoles privées. Et selon ce qu'ont révélé d'autres médias, on offrirait un droit de retrait aux cégeps, universités et hôpitaux.

> Libéraux contre, caquistes au milieu

Le projet de Charte a déjà du plomb dans l'aile. Les libéraux sont fortement opposés à cette approche «radicale». Leur chef Philippe Couillard accuse le gouvernement péquiste de faire «diversion pour masquer les problèmes économiques». Un comité libéral accouchera cet automne d'une nouvelle position de laïcité ouverte. Le gouvernement a donc besoin de l'appui de la Coalition avenir Québec (CAQ). Celle-ci dit chercher un équilibre entre les positions libérales et péquistes. L'hiver dernier, la CAQ se rangeait derrière les recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Elle pourrait maintenant aller un peu plus loin. Sa position sera bientôt dévoilée.

> Rendez-vous en Cour

Si jamais elle devait être adoptée, la Charte des valeurs québécoises donnerait du travail aux avocats. Elle entrerait en collision avec la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège la liberté de religion et le multiculturalisme. Par exemple, en décembre 2012, la Cour suprême a statué que dans certaines circonstances particulières, une femme pouvait témoigner en cour avec un niqab. La Charte pourrait aussi être utilisée pour empêcher la prière au conseil municipal de Saguenay. La première ministre Pauline Marois a déjà affirmé qu'elle recourrait «sans aucune réserve» à la clause dérogatoire, si nécessaire, pour contrevenir à la Charte canadienne des droits.