Le commissaire au lobbyisme s'est insurgé, mercredi, contre le manque de pouvoirs dont il dispose, ce qui a entraîné des délais de trois ans dans le traitement de poursuites judiciaires contre la firme de génie BPR.

> L'étude commentée par le commissaire (PDF)

François Casgrain a déploré qu'il ait fallu autant de temps pour que les tribunaux se saisissent de ces dossiers qui avaient fait l'objet de constats d'infraction en 2010.

«Je trouve aberrant que dans certaines poursuites, dans certains constats d'infraction signifiés par exemple dans un dossier en 2010, que le dossier n'ait été ouvert devant la Cour qu'en 2013», a-t-il dit en révélant les résultats d'une étude sur les activités de lobbyisme.

Pour illustrer ses pouvoirs limités, M. Casgrain a donné l'exemple de ce dossier touchant BPR qui avait eu grand retentissement, en raison de l'implication du député libéral Jean D'Amour.

Le commissaire avait constaté au total 84 manquements à la loi, mais de ce nombre, seulement 27 pouvaient faire l'objet de poursuites pénales. Pour les 57 autres, leur délai de prescription était écoulé, les faits remontant à plus d'un an.

M. D'Amour avait rapidement plaidé coupable au constat d'infraction stipulant qu'il avait effectué du lobbyisme illégal auprès de titulaires de charges publiques du Bas-Saint-Laurent, alors qu'il représentait BPR.

Pour obtenir que les constats contestés soient traités par la justice, M. Casgrain a dû insister auprès du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

«Le DPCP va envoyer ça en lot et il va attendre qu'éventuellement, la Cour leur signifie que quelque chose a été ouvert, a-t-il dit. Dans ce cas-ci il a fallu insister auprès du DPCP un peu, qu'il s'assure que les dossiers soient ouverts parce que ça faisait près de trois ans et le dossier n'était toujours pas ouvert.»

M. Casgrain n'a pas voulu lancer la pierre au DPCP, chargé d'intenter les poursuites. Mais il a utilisé cet exemple pour illustrer sa demande pour que ses pouvoirs soient élargis.

«Le DPCP fait un travail qui est important, nous avons des bonnes relations mais on continue d'estimer que le commissaire au lobbyisme devrait prendre ses propres poursuites, c'est lui qui est le spécialiste, c'est lui qui a à administrer sa loi, a-t-il dit. Je pense que c'est le commissaire qui est le mieux placé pour éventuellement amener ces cas et les défendre devant les tribunaux.»

M. Casgrain souhaite aussi que la Loi sur le lobbyisme soit modifiée pour allonger les délais de prescription et clarifier les responsabilités des fonctionnaires et élus qui sont exposés aux activités d'influence des divers représentants d'entreprises ou de regroupements.

Fort d'une nouvelle étude, M. Casgrain a constaté que les titulaires de charges publiques ne sont que 23 pour cent à consulter le registre des lobbyistes pour s'assurer que les représentants qui les sollicitent sont inscrits, comme l'oblige la loi.

Pourtant, l'étude indique aussi que 96 pour cent des titulaires de charges publiques estiment qu'ils ont la responsabilité de veiller à l'application de la Loi sur le lobbyisme.

«Si les actions ne suivent pas les paroles, on finit par ne pas croire la personne qui prononce les paroles, a-t-il dit. Donc, on dit souvent qu'il faut que les bottines suivent les babines, alors c'est exactement ça.»

M. Casgrain a prévenu les élus contre les risques qu'ils encourent, puisqu'ils s'exposent à des critiques si jamais il est démontré qu'ils ont des relations avec des lobbyistes qui contreviennent à la loi.

«C'est une des raisons pour laquelle je dis aux élus: protégez-vous, ne donnez pas la chance qu'on vous reproche éventuellement d'avoir traité avec quelqu'un qui ne respecte pas la loi, parce qu'on va mettre en doute la légitimité des décisions que vous avez éventuellement prises, a-t-il dit. Il va y avoir une perception que le tout s'est fait de façon secrète.»

Selon M. Casgrain, la loi devrait être clarifiée afin que les titulaires de charges publiques soient davantage conscients de leurs responsabilités.

«Il faut mettre une disposition plus concrète indiquant que les titulaires de charges publiques ont une responsabilité à cet égard», a-t-il dit.

En janvier, le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, a déclaré son intention de présenter cette année des modifications la Loi sur le lobbyisme, pour éliminer ce qu'il a décrit comme des «échappatoires».