Soucieux de mieux connaître les risques associés à l'uranium, le ministre de l'Environnement Yves-François Blanchet commande une enquête au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).

Une étude environnementale sur cette filière sera d'abord réalisée. Elle sera ensuite donnée au BAPE, qui mènera des consultations avec tous les acteurs concernés dans l'ensemble du Québec, incluant les Cris. C'est ce qu'on appelle un BAPE générique. «Nous souhaitons fortement la participation des Premières Nations», a souligné le ministre. L'exercice débouchera sur des recommandations.

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Le BAPE pourrait, par exemple, recommander un moratoire permanent ou au contraire encadrer l'exploration puis possiblement l'exploitation de l'uranium. M. Blanchet insiste qu'il «ne présume pas du résultat» de l'exercice.

Le mandat n'a pas encore été rédigé. Il prévoit que le conseil des ministres recevra les recommandations du BAPE «dans plus ou moins un an», tout en précisant vouloir laisser les commissaires faire leur travail en toute indépendance.

Le travail permettra de bien «définir le cadre de développement», de mesurer l'acceptabilité sociale et d'améliorer la «prévisibilité» pour les investisseurs, soutient M. Blanchet.

«Le processus annoncé est très bon», a réagi Christian Simard de Nature Québec et de la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine. Il croit aussi que l'annonce survient à un bon moment. Le prix de l'uranium «est très bas», rapporte-t-il. Les entreprises ralentissaient donc déjà leurs activités.

Le Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement ainsi que l'Initiative boréale canadienne (IBC) saluent aussi la décision. «Même s'il n'y a toujours pas de consensus sur l'opportunité d'exploiter l'uranium au Québec, il en existe un sur la nécessité d'un examen indépendant et d'une consultation publique sur les impacts économiques, environnementaux et sociaux avant que de telles activités ne soient permises», a commenté la directrice pour le Québec de l'IBC, Suzann Méthot.

«C'est une très bonne nouvelle pour nous», a réagi le chef Richard Shecapio du Conseil de la nation crie de Mistissini. Le mandat du BAPE doit être rédigé d'ici l'automne prochain. M. Shecapio est satisfait d'entendre le ministre l'inviter à participer au processus. «Nous allons tout de même rester vigilants pour nous assurer que nos droits prévus dans la Convention de la Baie James sont respectés», indique-t-il.

Des groupes environnementaux, les Cris ainsi que plus de 300 municipalités demandaient depuis plusieurs mois un moratoire et un BAPE générique.

M. Simard espère que l'étude sera réalisée par des chercheurs indépendants, et que ces derniers s'appuieront sur les récents rapports de l'Académie nationale des sciences et l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis. Il croit qu'au terme de l'exercice, on recommandera un moratoire permanent sur l'uranium.

L'industrie inquiète, Matoush en péril

L'industrie est pour sa part inquiète. La directrice de l'Association de l'exploration minière du Québec, Valérie Fillion, a déploré les paradoxes du discours du gouvernement, qui à la fois propose des incitatifs à l'investissement et de l'autre côté «gèle tout avec des moratoires et met la hache dans sa filière minérale».

Selon elle, aucune nouvelle donnée scientifique ne justifie une telle étude de la filière uranifère.

Près de 20 projets d'exploration d'uranium sont en cours au Québec. Mais il s'agit d'exploration légère en surface, qui ne nécessite pas de permis du ministère de l'Environnement. Seul le projet Matoush de Strateco, en territoire cri, nécessite l'obtention d'un permis.

Les Cris s'opposent à la filière et ont voté l'année dernière en faveur d'un moratoire, mais cette position n'est pas juridiquement contraignante. Strateco a obtenu l'autorisation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Une autorisation de Québec est aussi nécessaire. Strateco attend encore une décision. Elle insiste sur le fait que Québec doit trancher. La société attend une décision depuis près de 20 mois. Elle s'est adressée aux tribunaux pour forcer Québec à se prononcer.

Le ministre Blanchet n'a pas voulu commenter cette procédure qui est devant les tribunaux. «Ce sera aux gens de Strateco de répondre à cette question», a-t-il dit. «On est conscient, bien sûr, que ça impose une contrainte. Maintenant, notre responsabilité est pour l'ensemble de la société québécoise qui, de façon claire et consensuelle, demandait des consultations environnementales. D'aller de l'avant sans répondre à cette attente de l'ensemble de la population aurait été irresponsable.»

- Avec Hugo Fontaine