On peut sortir Jean Charest de la politique, mais on ne sort pas la politique de Jean Charest. L'ancien premier ministre a profité de l'hommage qui lui était rendu samedi au congrès à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ) pour condamner les reculs et les compressions du gouvernement Marois.

Il a également tenu à défendre sa gestion de la crise étudiante de l'an dernier. « Je n'ai aucun regret. Il fallait se battre et continuer de se battre» pour que les étudiants aient accès à leur salle de classe, a-t-il soutenu devant environ 2500 militants.

Il leur a fait valoir qu'ils ont un « choix déterminant » à faire dimanche avec l'élection du prochain chef. Il a salué la campagne des trois candidats, sans accorder plus d'attention à l'un qu'à l'autre. « Ce n'est pas rien. On joue gros. Le Parti libéral doit nous ramener à une véritable politique économique pour se débarrasser du bricolage péquiste des derniers mois », a-t-il lancé sous des applaudissements nourris.

Toujours d'attaque, il a soutenu que le PQ est synonyme de « repli » et de « recul ». « S'il y avait une compétition mondiale pour la marche arrière, le PQ serait champion. Si le PQ avait à faire hymne national, ce serait : beep-beep-beep-beep », a-t-il lancé aux militants qui renouaient avec l'humour de leur ancien chef.

M. Charest a adopté un ton plus dramatique en abordant les compressions imposées par le gouvernement Marois. « Chaque fois qu'on a fait preuve de rigueur et de choix sur le plan budgétaire, on ne l'a jamais fait aux dépens de nos programmes sociaux. Parce que les libéraux savent qu'il est possible de se doter d'une économie qui crée de la richesse sans couper les programmes, sans être obligés de couper dans les services de garde, sans s'attaquer aux personnes âgées qui vivent sur l'aide sociale. Ce n'est pas vrai qu'on est obligé de s'attaquer à ces gens-là pour équilibrer le budget », a-t-il affirmé comme s'il était encore en campagne électorale.

En anglais, il a abordé la question nationale. « Pour ceux qui se demandent ce que ce sera le futur du Québec, ne vous laissez pas convaincre par un séparatiste ou quelque d'autre que les Québécois veulent vivre en dehors du Canada. Les Québécois veulent que le Canada réussisse et veulent faire partie du Canada », a-t-il dit.

Jean Charest a quitté la direction du parti peu de temps après sa défaite du 4 septembre. « Aux élections de 2012, nous étions proches du but et surtout loin des prédictions », a-t-il souligné, rappelant également la pluralité des voix obtenue en 1998. Il a d'ailleurs glissé sur un ton humoristique que sur sa pierre tombale sera écrit : « il a perdu tous les sondages, mais il a gagné toutes les campagnes ».

Intensité et humour

Avant l'hommage à Jean Charest, les trois candidats - Raymond Bachand, Philippe Couillard et Pierre Moreau - étaient apparus dans l'auditorium de Verdun, le temps de soupeser leurs appuis dans les gradins. L'ancien ministre de la Santé dominait clairement à l'applaudimètre.

À tour de rôle, les vieux compagnons d'armes de Jean Charest sont venus souligner l'intensité de son engagement et son humour caustique. Marc-André Blanchard, ancien président du PLQ, a rappelé le jour de juin 2002 où, après avoir perdu quatre élections complémentaires, Jean Charest l'avait convié à un lunch. Blanchard s'attendait à y recevoir la démission sans appel de Jean Charest. Ce dernier voulait au contraire mettre en place le comité de transition pour l'arrivée d'un gouvernement libéral. Neuf mois plus tard, il était premier ministre.

Il a rappelé les tirades de la campagne référendaire de 1995, où Jean Charest invitait les Québécois à «se faire plaisir» et à voter «Non» avec son passeport en poche.

M. Blanchard, patron de McCarthy Tétrault, a récemment sillonné le Canada avec sa nouvelle recrue, Jean Charest, «et sur la rue des gens lui disaient: M. Charest je veux vous remercier, vous avez sauvé notre pays !».

Hugo D'Amour, attaché de presse de Jean Charest pendant sept ans, a rappelé l'insistance de Jean Charest à faire rayonner le Québec à l'étranger. Il avait tenu à ce que le Québec se tourne vers les économies émergentes dès son élection; des missions ont été vite organisées en Chine, en Allemagne, en Russie et au Brésil, où le Québec ouvrit ou consolida des bureaux. Il a résumé avec ironie son rôle, «l'attaché de presse, c'est celui qui, quand ça va bien dit aux médias que c'est grâce au premier ministre. Quand ça va mal, son travail est de dire aux médias que c'est en bonne partie de leur faute».

Jean Charest, lecteur boulimique de journaux, avait un intérêt insoupçonné pour toutes les questions internationales. Car tout au long de l'hommage, l'humour fut au rendez-vous. Toujours digne, l'ex-ministre Monique Gagnon Tremblay fit craquer la salle quand elle révéla qu'à une réunion du conseil des ministres, alors qu'elle arborait un collet de fourrure, Jean Charest lui demanda à la cantonade «si elle avait frappé un écureuil en s'en venant!».

Même sa seconde fille, Alexandra, a rappelé le traumatisme qu'il causait à ses prétendants, dès les premiers instants, en rappelant qu'il était entouré de gardes du corps armés qui savaient tout de leur passé. «Ne vous demandez pas pourquoi je suis encore célibataire !» a-t-elle lancé, déridant à nouveau l'auditoire.

L'hommage a souvent eu des moments touchants; des vidéos de son fils Antoine à Londres et de son aînée Amélie, en France, ont fait monter les larmes chez leur mère. Une fois de plus parce qu'à plusieurs occasions, Michèle Dionne est apparue très émue. Jean Charest a touché à la même corde; en fin de semaine dernière, en Afrique, il hésitait à se rendre rencontrer son fils à Londres, 16 heures d'avion pour une rencontre bien brève. Il s'est finalement rendu: toute sa vie son fils s'était astreint aux horaires exigeants de son père, il était temps de retourner l'ascenseur.

À travers le monde, une série de politiciens avaient consenti rendre hommage à Jean Charest. Plusieurs premiers ministres provinciaux ont ajouté leurs voix, mais aucun témoignage ne vint du gouvernement Harper. Abdou Diouf, de l'Organisation de la francophonie, a loué «son volontarisme», «son bilan remarquable et ses grandes qualités d'homme d'État». Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre de Jacques Chirac, a souligné sa détermination à rapprocher sur le plan économique la France et le Québec par des ententes sur les ordres professionnels.

«Les premiers ministres passent il faut garder au coeur cette amitié».

Gary Doer, ex-leader du Manitoba et ambassadeur canadien à Washington, a souligné que Jean Charest était l'un des politiciens les plus populaires au Canada, «à cause de son leadership, de sa volonté de faire du Canada un meilleur pays et du Québec une société plus confiante».