La loi pour garantir l'intégrité des soumissionnaires aux contrats publics est «imprécise» et «arbitraire», se sont plaints lundi en commission parlementaire l'Association des ingénieurs-conseil du Québec (AICQ) et l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ).

Le projet de loi 1 du gouvernement péquiste s'appliquera à toutes les entreprises qui convoitent les quelque 24 milliards de dollars en contrats du gouvernement, des sociétés d'État et autres organismes publics. Pour soumissionner, elles devront obtenir un certificat de bonnes moeurs. Il sera donné par l'Autorité des marchés financiers (AMF), après vérifications de l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Quelque 80 infractions criminelles justifieraient qu'on leur refuse de certificat. Autre raison qui le justifierait: si la «confiance du public» était compromise.

Cette «notion subjective» peut «donner lieu à un large éventail d'interprétations susceptibles de provoquer des erreurs et éventuellement une multiplication des contestations judiciaires», a prévenu Johanne Desrochers, présidente de l'AICQ, qui dit toutefois appuyer le projet de loi.

À ce critère dit subjectif, elle en propose un autre qu'elle définit peu: la «culture d'entreprise». Des entreprises pourraient être menacées de fermeture. On pénaliserait ainsi plusieurs de leurs travailleurs honnêtes, s'inquiète Mme Desrochers. Elle suggère de mettre en place des mesures coercitives pour réhabiliter les entreprises fautives et leur permettre d'obtenir des contrats publics. Elle s'est portée hier à la défense d'Axor, qui a plaidé coupable en 2010 de plusieurs infractions à la loi électorale. «J'ai presque envie de vous dire qu'ils ont au moins eu l'honnêteté de plaider coupable.»

Contrairement à l'Ordre des ingénieurs, l'AICQ n'a jamais demandé qu'on crée une commission d'enquête. Selon sa présidente, changer la loi ne suffira pas pour faire un grand ménage. Toute la «société civile» devrait faire un examen de conscience, a-t-elle dit.

Le président du Conseil du Trésor, Stéphane Bédard, était irrité. «Ce n'est pas une dérive de notre population, parce qu'elle, elle est choquée. C'est une dérive de certaines entreprises qui ont tenu pour acquis que l'État n'agirait pas», lui a-t-il répondu.

M. Bédard s'est dit «fort déçu» de ce mémoire. Il ajoute que si l'AMF se garde le pouvoir d'encadrer la délivrance des certificats, c'est pour permettre à l'AMF de s'ajuster en cours de route et éviter que les entreprises ne contournent la mesure.

M. Bédard a raillé ceux qui se plaignent que son projet de loi nie la présomption d'innocence: c'est une notion de droit criminel, et non de droit civil, qui ne s'applique pas à la soumission de contrats publics.

Le député caquiste Jacques Duchesneau n'a pas été impressionné non plus par l'ACRGTQ. Le groupe partageait les réserves des ingénieurs-conseil et demandait à Québec d'attendre la fin de la commission Charbonneau avant d'agir. «Votre association a été très silencieuse pendant très longtemps pour justement dénoncer des situations qui dérapaient», a-t-il remarqué. Comme les libéraux et le gouvernement, les caquistes croient qu'il y a «urgence» d'adopter un projet de loi.

Le ministre Bédard a par contre félicité l'Association de la construction pour son mémoire.

L'UPAC et l'AMF ne participeront pas à la commission parlementaire sur ce projet de loi, qui les touchera pourtant directement. À l'UPAC, on explique qu'on a déjà collaboré avec le gouvernement pour la rédaction du projet de loi.

Le député libéral Sam Hamad voudrait néanmoins connaître la position de l'UPAC, qui recevra d'importantes nouvelles tâches. «On veut savoir par exemple quel sera l'impact administratif pour eux», dit-il.