Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre un acteur de l'actualité et lui pose 10 questions liées à la couverture dont il a été l'objet. La 11e question vient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Jean-François Lisée, ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur et responsable de la région de Montréal.

1 Le maire Tremblay nuit-il à la métropole en restant en poste?

La situation politique créée par les révélations de la commission Charbonneau et les indications concernant le financement potentiellement illégal du parti du maire créent une situation dommageable pour la réputation de la Ville, son bon fonctionnement et la légitimité de son maire. C'est un constat qui ne porte pas à débat. Il va falloir sortir de cette situation. On a des indications que le maire annoncera qu'il ne se représentera pas, c'est déjà un pas dans la bonne direction. Est-ce que ça suffit? C'est la question que tout le monde se pose. Nous avons décidé politiquement de ne pas aller plus loin que ce que je viens de dire. Pour l'instant, on réfléchit avec le ministre des Municipalités, Sylvain Gaudreault, à la création de mécanismes qui permettraient aux institutions de résoudre ce problème de façon ordonnée.

2 La commission Charbonneau n'est pas terminée, mais ce qu'on a entendu jusqu'ici permet de comprendre comment fonctionnaient la corruption et la collusion. Vous êtes le ministre responsable de la métropole. Quel devrait être le premier geste à faire pour remettre la Ville dans le droit chemin?

Dès le début de la session, nous allons déposer une législation qui va permettre d'insérer comme principe premier l'intégrité dans les adjudications de contrats. Il y a urgence de nettoyer la liste d'entrepreneurs et on compte sur la collaboration de l'opposition pour adopter cette loi avant Noël. On veut procéder rapidement pour permettre aux donneurs d'ouvrage de ne faire affaire qu'avec des entreprises au-dessus de tout soupçon. Il faudra aussi débattre du principe du plus bas soumissionnaire, mais c'est une question qui demande plus de réflexion et on va prendre plus de temps pour en discuter. Le troisième élément est le financement des partis municipaux, qui est plus complexe qu'au provincial et au fédéral à cause du nombre de candidats indépendants. Il faut concevoir une méthode qui aide sans nuire. On en discutera avec les ministres [Bernard] Drainville et Gaudreault.

3 Les membres du comité exécutif de Laval insistent pour dire qu'il n'y a pas de crise hormis la crise personnelle que vit le maire Gilles Vaillancourt. Qu'en pensez-vous?

Le maire de Laval s'est retiré parce qu'on a perquisitionné chez lui et dans ses comptes bancaires alors qu'à Montréal, un fonctionnaire responsable de l'adjudication des contrats a démontré un système de corruption. Il n'y a aucun doute pour moi qu'il y a une crise. Maintenant qu'on le reconnaît, on peut commencer à en sortir.

4 Vous dites que le maire Vaillancourt a pris la bonne décision en se retirant, mais ses collègues, les membres de son équipe, sont toujours en poste et conservent les rênes de la Ville. Est-ce une bonne chose?

La même question peut être posée pour le maire de Montréal. Si on dit que la difficulté vient du fait que des allégations sérieuses portent sur son parti et que le maire se retire et qu'il est remplacé par quelqu'un du même parti, la même question de responsabilité se pose. On est dans une situation sans précédent qui pose des questions qu'on n'avait jamais eues auparavant. On est à un an d'une échéance électorale, on admet ne pas avoir toutes les réponses. On sait que le système juridique québécois n'offre pas tous les recours et on se pose tous ces questions.

5 Le dernier recensement montre que le français recule dans l'île. Une des solutions serait de favoriser l'accès à la propriété pour les jeunes familles. Que faire concrètement quand on sait qu'il y a un écart de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour le coût d'une maison?

Dans les prochains jours, je vais annoncer la création d'un comité de pilotage qui va réfléchir à ces questions. Évidemment, on ne pourra pas abolir le différentiel entre les coûts des propriétés, mais on peut cibler une aide pour les familles elles-mêmes, au moment de l'achat de la première maison. On veut aussi aider les jeunes familles qui voudraient, par choix, rester à Montréal mais qui ne trouvent pas d'offre d'habitation pour leurs besoins. On va se donner quelques mois pour faire des changements législatifs et réglementaires.

6 Certains secteurs comme celui des nouvelles technologies craignent qu'en favorisant une immigration principalement francophone, on se prive de cerveaux en provenance de pays où la langue anglaise domine. Que leur répondez-vous?

Je réponds: «Don't worry!» Pour reprendre un exemple que j'ai déjà donné, si un chirurgien spécialiste du cerveau en provenance de Shanghai n'a pas une bonne connaissance du français, il va venir quand même, car on a besoin de lui. On l'accompagnera dans son acquisition du français. Pour moi, la carte de la créativité montréalaise, c'est LA carte de l'avenir et je suis en faveur d'une immigration ou de mesures fiscales qui pourraient induire plus de créativité à Montréal.

7 Quelle est la place de l'anglais dans la vie montréalaise, selon vous?

Ce qui rend Montréal si extraordinaire, ce sont ses deux composantes linguistiques. C'est une ville qui affiche et devrait continuer d'afficher une nette prédominance du français. Notre objectif commun est la santé linguistique des trois groupes (francophones, anglophones, Premières Nations). Aujourd'hui, la proportion de francophones est en train de se marginaliser et ce n'est pas sain pour notre équilibre. De la même façon, si on avait raison de croire que la minorité anglophone était en train de perdre sa masse critique, ce ne serait pas sain et il faudrait agir en conséquence pour empêcher ce déclin. Il reste la question des allophones. Au Québec, pour reproduire l'équilibre linguistique actuel, il faudrait que 15% d'entre eux passent à l'anglais et 85% au français. En ce moment, c'est 50-50. Il faut travailler là-dessus.

8 Quel geste concret pensez-vous faire prochainement pour lancer le signal que vous souhaitez vous rapprocher de la communauté anglophone?

J'ai eu un certain nombre de rencontres pour écouter et discuter, mais effectivement, une fois qu'on a reconnu qu'il y a une volonté, il faut voir ce que ça donne concrètement. C'est là-dessus qu'on travaille. Je rappelle tout de même que la première ministre du Québec d'un gouvernement du Parti québécois a parlé de la sécurité linguistique des Anglo-Québécois à Kinshasa, devant les chefs des gouvernements de la francophonie.

9 Avez-vous toujours l'intention d'interdire le cégep anglophone aux francophones?

C'est dans le programme. Est-ce que ce sera déposé dans le projet de loi? Ce sera une décision prise par Diane De Courcy et le Conseil des ministres. Évidemment, on lit bien la situation politique telle qu'elle se présente et on n'a pas l'impression qu'il y a une majorité à l'Assemblée nationale pour aller de l'avant là-dessus. Est-ce qu'on le dépose sachant qu'on ne pourra pas le faire voter, ou on ne le dépose pas? C'est une décision à venir.

10 Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre parti va trop loin dans ses efforts de francisation?

Si on veut agir pour le français et l'identité québécoise, il faut savoir que bien des gens vont trouver que ce n'est pas nécessaire et qu'on va trop loin. Si on les avait écoutés, le français serait en très mauvaise posture aujourd'hui.

TWITTER +1 Daniel Thibault (@danielthibault sur Twitter)

Certains voient de la naïveté dans votre effort de transparence dans la communication. Que répondez-vous?

À choisir mes erreurs, j'aime mieux des erreurs transparentes que des erreurs opaques.