Le recul du français à Montréal, confirmé par la plus récente étude de Statistique Canada, préoccupe Jean-François Lisée.

> À lire: résumé et version complète de l'étude

«Pendant la campagne électorale, on a dit que la fragilisation du français dans l'île de Montréal était une difficulté réelle», a dit le ministre responsable de la métropole. Montréal majoritairement francophone, c'est un objectif national légitime. C'est la première fois (qu'un gouvernement) dit ça. On y tient, on va y travailler», a-t-il promis.

La proportion de Québécois qui parlent le plus souvent français au foyer a légèrement diminué: de 81,8% en 2006 à 81,2% en 2011. Pour l'anglais, la proportion est stable: 10,7% en 2006, 10,8% en 2008. Mais elle a augmenté pour les autres langues : de 7,6% à 8,1% durant la même période. Une augmentation de près de 73 000 personnes.

Dans la région de Montréal, la proportion de foyers où on ne parle que français a chuté, de 62,4 % en 2001 à 59,8 % en 2006, puis à 56,5 % en 2011.

Statistique Canada explique ce recul par le «faible taux de fécondité» et «l'immigration internationale». Quatre nouveaux arrivants sur cinq au Québec n'ont pas le français ou l'anglais comme langue maternelle.

La proportion d'immigrés qui parlent français au foyer a par contre augmenté, de 21% (2001) à 24% (2011).

M. Lisée avait déjà eu le temps d'analyser les chiffres. «Évidemment, ce n'est pas un progrès de l'anglais», a-t-il précisé ce matin à l'entrée de la réunion du Conseil des ministres. La variation des chiffres provient du fait qu'un «certain nombre de Montréalais d'origine étrangère retiennent leur langue première pendant très longtemps». «C'est parfaitement légitime de leur part», a-t-il expliqué.

«Mais moins il y a de francophones dans l'île, moins les francophones peuvent intégrer les autres», poursuit-il.

Le gouvernement péquiste veut freiner l'exode des familles francophones vers la banlieue. Cet exode s'explique par le coût des logements, rappelle M. Lisée. «À l'arrivée du premier ou du deuxième enfant, pour des raisons financières, des familles vont en banlieue. Si on réussissait à les retenir de différentes façons, ça modifierait la tendance.»

Le ministre travaille à un plan d'action qui sera soumis dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Parmi les solutions envisagées: favoriser l'accès à l'habitation et aux logements abordables à trois ou quatre chambres. «Il y a beaucoup de gens qui travaillent à la maison et qui ont besoin d'une pièce pour un bureau. C'est difficile à trouver. Les promoteurs n'en offrent pas nécessairement. Il y a des initiatives. La Ville de Montréal en a déjà établi. Mais on commence à faire le tour des idées qui circulent pour inciter à la construction de plus d'habitations pour les familles d'un, deux ou trois enfants.»

Ces mesures seraient destinées à tous les Montréalais, peu importe leur langue. «Mais avec les tendances démographiques, on sait qu'au final, ça signifierait la rétention de davantage de francophones.»

Le ministre de l'Éducation supérieure, Pierre Duchesne, croit que ces chiffres démontrent que la «pérennité de la nation n'est pas assurée». «Il faut qu'il y ait une Charte de la langue française suffisamment puissante pour protéger la différence en Amérique du Nord, qui est la différence francophone et sa culture», a-t-il indiqué.

En campagne électorale, le Parti québécois (PQ) a promis de renforcer la Charte de la langue française, mais l'opposition, qui est majoritaire, est contre.

La ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy, a réagi en milieu d'après-midi. En campagne électorale, Pauline Marois promettait de déposer dans ses 100 premiers jours au gouvernement un projet de loi pour renforcer la Charte de la langue française. Mme De Courcy n'a pas voulu dire si cet engagement serait respecté. La décision relève de Mme Marois, qui pourrait en parler dans son discours inaugural, a-t-elle simplement indiqué.

Les mesures législatives ne suffisent pas, croit M. Duchesne. Selon lui, il faut aussi «ramener un peu de fierté avec l'utilisation du français». «Adopter la langue française avant tout, quand on arrive dans un endroit public au Québec, on ne devrait pas être gêné de faire cela.»

Mme De Courcy se dit «pas surprise» mais «déçue» et  «inquiète» de l'étude de Statistiques Canada.

Elle se console en constatant que plus d'immigrants apprennent le français. «C'est le début d'une bonne nouvelle. Ce qui manque pour m'en réjouir, c'est (...) la langue au travail», soutient-elle.  Cette étude de Statistiques Canada n'en parle pas. La langue de travail est «le premier intégrateur» des nouveaux arrivants, explique-t-elle. «Exiger le bilinguisme devient la norme, et pas l'exception». Des immigrants doivent même prendre des cours d'anglais pour obtenir un emploi, se désole-t-elle.

Que fera le gouvernement péquiste? Mme De Courcy, aussi ministre de l'Immigration, donne très peu de détails. Elle ne dit pas si le nombre d'immigrants ou les critères d'accueil seront modifiés. «On vérifie cela», répond-elle simplement. Le gouvernement doit déposer sa politique d'immigration au début novembre. La ministre ne dit pas non plus si elle modifiera les ententes qu'une soixantaine d'entreprises ont conclu avec l'Office québécois de la langue française, qui leur permettre d'utiliser l'anglais comme langue de travail. Elle dit ne pas avoir eu le temps de prendre une décision.

Son collègue Pierre Duchesne, ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, note que Statistique Canada travaillait avec les données du nouveau recensement, dont le questionnaire détaillé n'est plus obligatoire. Cette décision controversée du gouvernement conservateur avait poussé le patron de Statistique Canada à démissionner. «C'est un recensement fait sur une base plus restreinte, a-t-il noté. Le gouvernement à Ottawa, qui semble avoir un problème des fois avec le savoir, a imposé unquestionnaire plus étroit. Il faudra voir si les données sont assez larges et profondes.»

En fait, les données proviennent de la version courte du questionnaire, qui demeure obligatoire. Les données de la version longues portent notamment sur la langue de travail. Elles seront dévoilées l'année prochaine.

Dans les derniers mois, l'OQLF a constaté un recul du français dans quelques nouvelles études. Dans 20 ans, les francophones pourraient être minoritaires (47%) dans l'île de Montréal. Le poids des anglophones sera alors de 23% et celui des allophones, de 29%, prévoit l'Office.

D'autres nouvelles sont plus encourageantes pour le fait français. Les transferts vers le français dépassent pour la première fois ceux vers l'anglais. Les allophones qui délaissent leur langue maternelle le font plus souvent pour le français (51%) que pour l'anglais (49%). Moins de deux allophones sur cinq font toutefois un transfert linguistique.

Réactions à Ottawa

À Ottawa, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a soutenu que le recul du français au pays est inquiétant pour l'avenir des communautés francophones. «Les données de Statistique Canada démontrent que le bilinguisme recule au Canada. Les conservateurs ne montrent pas l'exemple quand ils nomment un vérificateur [général, Michael Ferguson] ou un juge unilingue anglophone à la Cour suprême. Une des solutions est d'appuyer le développement économique des collectivités de langue officielle, plutôt que de suggérer aux gens de déménager pour trouver un emploi ailleurs», a dit aux Communes Yvon Godin, porte-parole du NPD en matière de langues officielles.

Pour le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, les résultats du dernier recensement démontrent encore une fois la nécessité de protéger la langue française au Québec.

Le député conservateur Jacques Gourde a pour sa part soutenu que le gouvernement Harper appuie «la dualité linguistique» au pays et a «livré la marchandise» en consacrant 1,1 milliard de dollars à divers programmes de promotion des langues officielles.