Secoué par la force du ressac, le gouvernement Marois recule. Le ministre des Finances, Nicolas Marceau, proposera «un compromis» pour calmer la colère des milieux d'affaires et des contribuables ulcérés par l'idée qu'on puisse augmenter les impôts de façon rétroactive.



Lundi soir, il était impossible de savoir si on irait jusqu'à épargner les nantis. Mais Québec reverra les dispositions touchant l'imposition sur le gain de capital, pour laquelle la rétroactivité risque d'être encore plus douloureuse pour environ 270 000 contribuables. Le ministère des Finances avait le mandat de trouver une solution rapide pour éteindre l'incendie qui courait partout dans les médias, hier. Une proposition pourrait être prête dès le prochain Conseil des ministres.

Jeudi dernier, Pauline Marois a annoncé que la taxe santé - 200$ par personne - sera abolie pour l'année d'imposition 2012. Cette décision entraîne un manque à gagner de 1 milliard, financé par trois mesures du programme électoral péquiste. D'abord, l'augmentation des tables d'impôts pour les revenus de plus de 130 000$ générera 600 millions - 145 000 contribuables, soit 2,3% de ceux qui paient des impôts, sont touchés.

Deuxième mesure: l'impôt sur le gain de capital passera de 50 à 75%, ce qui permettra de récolter 255 millions. En troisième lieu, la réduction du crédit d'impôt sur les dividendes fournira 140 millions. Ensemble, ces trois mesures permettent de compenser le milliard de recettes perdues avec l'abolition de la taxe santé.

«L'engagement est d'abolir la taxe santé. On veut respecter notre engagement, tenir parole sur la promesse, tout le reste est sur la table», a affirmé hier Shirley Bishop, directrice des communications au cabinet de Mme Marois. Les solutions proposées durant la campagne électorale sont réévaluées, indique-t-elle. «Notre volonté, c'est d'abolir la taxe santé, de retourner le 200$ à 5 millions de personnes. Sur les moyens, on regarde ça, et on a de l'ouverture par rapport à ça...» Un proche de Mme Marois, qui a requis l'anonymat, a répété: «On a dit qu'on serait fermes sur les objectifs, mais souples sur les moyens.»

Prudence sur la rétroactivité

Le fiscaliste Luc Godbout, de l'Université de Sherbrooke, a souligné hier à La Presse que rien, avant la semaine dernière, ne laissait prévoir que le gouvernement Marois avait l'intention d'agir rétroactivement. Il voit également une nette différence entre la rétroactivité prévue pour l'impôt sur les revenus élevés et celle envisagée pour les gains de capital. «Dans l'histoire, au Canada comme au Québec, il n'y a jamais eu de changement rétroactif sur les gains de capital, il faut être extrêmement prudent sur la rétroactivité», observe-t-il.

Il donne comme exemple le cas d'une personne qui aurait vendu un immeuble locatif au printemps, avec un fort gain de capital. Supposons qu'il a acheté une rente viagère pour sa retraite avec les profits générés après l'impôt. Si le gouvernement lui demande une somme supplémentaire de façon rétroactive, il aura un gros problème, «car cet argent n'est plus disponible».

En ce qui concerne l'impôt, Paul Martin avait présenté à Ottawa, en novembre 2005, une mise à jour économique avec des baisses d'impôt rétroactives - ce qui, on peut l'imaginer, n'a pas causé de débat. En 1993, Gérard D. Lévesque avait annoncé dans un budget, en mai, une mesure couvrant toute l'année; l'opposition dirigée par Jacques Parizeau avait vertement dénoncé la manoeuvre.

La mesure touchant l'imposition des dividendes serait aussi réévaluée. Elle est en effet du même ordre que celle sur le gain de capital - on change rétroactivement une somme déjà perçue. Mais comme elle représente seulement 140 millions sur le milliard à récupérer, elle suscite moins de grogne.

Stratégie péquiste

Chez les stratèges du gouvernement, on a indiqué que les moyens devaient de toute façon être soumis à l'opposition à l'Assemblée nationale. Le gouvernement aura besoin de l'appui d'au moins un des deux partis pour adopter son projet de loi. On a même évoqué la possibilité que tout soit renvoyé à l'année d'imposition 2013 si le Parti libéral et la Coalition avenir Québec refusent la «proposition» de la majorité péquiste.

L'opposition aurait alors à défendre politiquement sa décision. En effet, avec son annonce, le gouvernement Marois a fait le pari que le gain de 200$ pour 5 millions de contribuables ferait vite oublier les doléances des 145 000 nantis.