Après sa nomination au poste hautement stratégique de ministre de la Justice, en 2008, Kathleen Weil s'est installée pendant quatre mois dans des bureaux appartenant à un proche de la mafia lié de près au fils de l'ancien parrain Vito Rizzuto.

La situation était passée inaperçue à l'époque. Le bureau de la ministre a accepté d'en discuter pour la première fois hier. On s'est d'abord fait rassurant au sujet des dossiers sensibles qui pouvaient être traités dans ces bureaux.

«Je peux vous assurer qu'il n'y a aucun document qui aurait pu être à risque. La ministre avait un ordinateur portable sécurisé qu'elle ne laissait même pas au bureau le soir», a assuré Marie-Ève Labranche, porte-parole de Mme Weil, qui est aujourd'hui ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles.

L'histoire illustre bien les mauvaises surprises que peuvent entraîner les investissements massifs dans l'immobilier de certains proches du crime organisé.

Mme Weil a été élue députée de Notre-Dâme-de-Grâce à l'occasion des élections générales de décembre 2008. Elle a hérité des bureaux de son prédécesseur, Russel Copeman, situés au 6332, rue Sherbrooke Ouest. Le loyer, assumé par l'Assemblée nationale, était de 1954$ par mois. L'édifice abritait aussi les bureaux de la députée libérale fédérale du coin, Marlene Jennings.

L'immeuble appartenait depuis les années 90 à une filiale de Construction FTM, entreprise du promoteur Tony Magi et de ses frères.

Sur le radar

Dès 2005, pendant l'enquête antimafia Colisée, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait appris que M. Magi avait été séquestré par des fiers-à-bras. Il avait réussi à s'enfuir, mais n'avait pas joint la police. Il avait plutôt téléphoné à Nick Rizzuto Jr, fils du parrain Vito Rizzuto, puis l'avait rejoint dans un bar de Laval, où se trouvaient aussi deux membres influents de la mafia.

L'affaire a été révélée par La Presse et d'autres médias en septembre 2008, lorsqu'une partie de la preuve de l'enquête a été rendue publique. Un mois plus tôt, Tony Magi avait été victime d'une tentative de meurtre qui l'avait laissé gravement blessé. La police avait alors évoqué un possible règlement de compte lié au monde interlope.

En décembre de la même année, Kathleen Weil a été élue, puis nommée ministre de la Justice. Selon son attachée de presse, c'est à ce moment que des vérifications ont été faites par la Sûreté du Québec (SQ). Conclusion: l'endroit n'est pas approprié pour une ministre.

«Dès la prise de possession des bureaux, en janvier 2009, elle a été avisée qu'il devrait y avoir un déménagement», explique Mme Labranche. À l'époque, les raisons invoquées dans les médias étaient l'absence d'espaces de stationnement réservés et l'impossibilité d'aménager un «poste d'accueil sécurisé» dans l'immeuble de la rue Sherbrooke.

Hier, l'attachée de presse de la ministre était incapable de confirmer si les liens du propriétaire de l'immeuble avec le crime organisé ont aussi été portés à l'attention de la ministre. «Honnêtement, nous avons juste exécuté les instructions de la SQ», affirme-t-elle.

Jennings laissée à elle-même

De nouveaux bureaux ont été trouvés dans un immeuble du boulevard De Maisonneuve. Mais il a fallu attendre le 1er mai pour que la ministre y déménage.

Archives La Presse Canadienne

Kathleen Weil

Peu après, la pression s'est accentuée sur Tony Magi. Des enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal l'ont rencontré, en compagnie de Nick Rizzuto Jr, dans les bureaux de Construction FTM. Selon une déclaration sous serment déposée au tribunal par un enquêteur, il était clairement fiché à cette époque pour ses «liens étroits avec la mafia italienne de Montréal».

En décembre 2009, Nick  Rizzuto Jr a été assassiné près des bureaux de Tony Magi. Le promoteur a ensuite été arrêté en possession d'armes.

En 2011, une décision de la Régie des alcools résume la situation: «Tony Magi est relié de près aux derniers événements impliquant le crime organisé sur le territoire de l'île de Montréal.»

La députée Marlene Jennings, qui avait toujours ses bureaux chez les Magi, a continué de suivre la situation de près. Sans statut de ministre, elle n'avait pas droit à un déménagement automatique.

«J'étais ébranlée. J'étais liée par un bail. Mais quand j'ai vu les liens, j'ai envoyé un avis comme quoi je ne renouvellerais pas au terme de mon bail. Finalement, les élections de 2011 ont fait que je n'ai pas eu besoin de chercher un nouvel endroit», raconte-t-elle. Mme Jennings a perdu son siège lors du scrutin.

Photo archives La Presse

Tony Magi