Avec le départ-surprise de Line Beauchamp, les partisans de la ligne dure du gouvernement Charest dans le conflit avec les étudiants ont gagné. Mais leur victoire, si tardive, risque d'être inutile.

> En graphique: le parcours de Michelle Courchesne

Analyse. Depuis longtemps parmi les ministres préférées de Jean Charest, Line Beauchamp a tiré lundi un trait sur 15 ans de vie politique. Un départ qui surprend les observateurs extérieurs, alors que ceux qui étaient témoins des tractations de coulisses sont moins étonnés - elle était déterminée à ne pas se représenter aux prochaines élections.

Depuis au moins deux semaines, Mme Beauchamp retenait le gouvernement Charest, pressé d'en finir, d'adopter la ligne dure pour couper court au conflit. Il y a deux semaines, devant les recteurs conviés à Québec, M. Charest avait brandi la menace d'une loi spéciale pour forcer le respect des nombreuses injonctions décrétant la reprise des cours - des décisions judiciaires bafouées par les étudiants. Jean Charest voulait ainsi utiliser la loi pour accroître la pression et augmenter la gravité des sanctions pour ceux qui se rendaient coupables d'outrage au tribunal. Beauchamp était contre l'idée et réclamait plus de temps - jusqu'à ce qu'elle sente qu'aucun compromis ne pourrait être jugé suffisant par les étudiants.

Lundi matin, au cours de son ultime coup de fil aux associations, elle était même prête à discuter d'un moratoire sur la hausse des droits de scolarité, tout en sachant que cette solution n'aurait pas passé facilement, tant au Conseil des ministres qu'au caucus des députés libéraux. Même problème avec la commission parlementaire. «C'était loin d'être vendu, et elle avait le sentiment que chaque fois qu'elle donnait un pouce, les étudiants voulaient un pied...» Accrochée au téléphone pendant deux heures lundi matin, avec toutes les associations étudiantes, Line Beauchamp a su que les carottes étaient cuites après avoir évoqué une commission parlementaire spéciale: «on ne fait pas confiance aux élus», ont répondu les étudiants.

Ironiquement, avec le départ de Beauchamp, le plan de match des «faucons» ne devient pas plus facile: Michelle Courchesne est aussi clairement opposée à une loi d'exception, et la menace d'une annulation du trimestre semble être l'ultime munition du gouvernement. La ministre-au-bord-de-la-crise-de-nerfs était même plus conciliante que Mme Beauchamp lors du marathon de négociations d'il y a deux semaines.

Line Beauchamp est isolée depuis un bon moment. Elle «sentait que Jean Charest la laissait bien seule», expliquent des proches. Outre M. Charest, bien des joueurs influents, dont Luc Bastien, chef de cabinet, souhaitent depuis un bon moment que le gouvernement joue la carte de l'autorité. Au Conseil des ministres, on dit que Jean-Marc Fournier, qui a joué un rôle dans la préparation de la loi, est aussi un partisan de la fermeté, lui qui avait affronté les étudiants en 2005. Dans ses déclarations publiques, Robert Dutil, ministre de Sécurité publique, veut aussi en finir depuis longtemps.

La ministre Beauchamp avait depuis un bon moment décidé de ne pas se présenter aux prochaines élections. Arrivée en 1998, elle a vu ses collègues de l'époque quitter la vie harassante de l'Assemblée nationale, avec ses réunions tardives et ses week-ends d'activités de circonscription - de Jacques Dupuis à Monique Jérôme-Forget, en passant par Benoît Pelletier et Nathalie Normandeau, Philippe Couillard et même le regretté Claude Béchard, avec qui elle s'entendait bien.

Jean Charest voulait qu'elle reste: il lui a même offert un autre ministère. Mais à l'aube de la cinquantaine, elle ne voulait pas risquer de «jouer la belle-mère» et de devoir commenter les décisions de son successeur. La perspective de retourner éventuellement dans l'opposition ne l'enchantait guère non plus. Son discours montre que sa décision était prise depuis un bon moment déjà - cela circulait durant le week-end dans des milieux très restreints.

Et un autre problème, plus inattendu, se pose pour le gouvernement. Avec le départ de Line Beauchamp de l'Assemblée nationale, la déjà courte majorité du gouvernement se rétrécit encore: les libéraux ne comptent que 4 sièges d'avance, 63 contre 59. Le président Jacques Chagnon ne peut voter que dans des circonstances exceptionnelles, et un ministre, Yvon Vallières, sort à peine de l'hôpital. Jean Charest a hâte à la fin de la session.