La montée de l'individualisme, la démission des jeunes, la fatigue des artistes, le discours sur les «vraies affaires», tout cela ne rend pas Jean-François Lisée insomniaque. «Les gens oublient vite! On a déjà vécu tout cela dans les années 80, et les épiphénomènes ne m'intéressent pas. Ce n'est que l'écume des jours. Moi, je regarde les tendances lourdes», dit le membre du Comité sur la souveraineté et ancien conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard.

La tendance lourde qui l'encourage, c'est la «décanadianisation» des jeunes. Les Québécois, et particulièrement les jeunes, se détachent du Canada (voir le tableau en page 5).

Depuis les années 60, la proportion de francophones qui se disent Québécois plutôt que Canadiens ou Canadiens-français a augmenté de façon constante: elle est passée de 21% en 1966 à 67% en 2007. Même chose quand on demande aux sondés s'ils se sentent «seulement» ou «d'abord» Canadiens, Québécois ou les deux.

Certains Canadiens s'en inquiètent. En janvier, Peter White, ex-chef de cabinet de Brian Mulroney, a écrit au magazine Maclean's une lettre de cinq pages dans laquelle il déplore la «décanadianisation du Québec». «Nous assistons à la lente séparation de facto du Québec du reste de notre pays - émotionnellement, spirituellement et intellectuellement.»

Jean-François Lisée s'en réjouit. «L'identité est la condition qui prépare un vote pour le oui. Quand je regarde ces chiffres, je me dis: donnez-moi la date du prochain référendum!»

Le paradoxe des jeunes

Mais le lien n'est pas évident. L'identité est peut-être la condition d'un vote pour le oui, mais elle n'est pas suffisante, soutient Jack Jedwab, directeur général de l'Association d'études canadiennes (AEC). Deux récents sondages de l'organisme révèlent que c'est particulièrement vrai dans le cas les jeunes. C'est chez eux que l'identité québécoise se traduit le moins par un vote pour la souveraineté.

«Quand j'ai vu les chiffres, j'ai commandé un deuxième sondage pour être certain qu'il n'y avait pas d'erreur. On a relevé le même phénomène», dit-il. Chez les 18-24 ans qui se disent «peu attachés au Canada», 58% voteraient «oui». Parmi les groupes de 25-34 ans, 35-44 ans et 45-54 ans, le taux oscille de 69% à 78%. «Ce n'est pas si surprenant, croit-il. Les jeunes n'ont pas vécu Meech ou le rapatriement de la Constitution. Sans ces griefs, ils sont moins motivés à passer du détachement identitaire à la séparation.»

Jean-François Lisée croit que ce lien peut se faire. «C'est pour cela qu'il faut une conversation nationale», insiste-t-il. Le stratège rappelle que, aux élections générales de 1994, l'appui à la souveraineté était sur une pente descendante. Le PQ avait récolté à peine plus de votes que les libéraux (44,75% contre 44,4%), qui étaient pourtant au pouvoir depuis neuf ans. «On connaît la suite», lance Lisée.

Mais il y a une différence majeure, note Jean-Herman Guay, politologue à l'Université de Sherbrooke et ancien président de la commission politique du Bloc québécois. «Les souverainistes ont maintenant perdu deux référendums. On ne peut pas en faire indéfiniment.»

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Liens suggérés:

Sondages de l'Association d'études canadiennes (AEC) https://www.cyberpresse.ca/html/1230/Jedwab-PostConstitutionnalEra.doc



Étude des sociologues Claire Durand et François Yale sur l'évolution des sondages sur la souveraineté de 1976 à 2008 https://www.cyberpresse.ca/html/1230/Durand1976-2008.pdf



Étude des sociologues Claire Durand, François Yale et Mélanie Deslauriers sur l'évolution de l'appui à la souveraineté de 1976 à 2010 https://www.cyberpresse.ca/html/1230/Durand1976-2010.pdf



Sondage Léger Marketing sur le rapatriement de la constitution canadienne, commandé par l'Association internationale d'études québécoises

https://www.scribd.com/doc/87050221/Sondage-30-ans-apres-le-rapatriement



Sondage de l'Union des artistes du Québec sur la souveraineté

https://goo.gl/GRSf7



Sondage Léger Marketing-Le Devoir: "Division chez les électeurs péquistes"

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/186813/sondage-leger-marketing-le-devoir-division-chez-les-electeurs-pequistes



Conférence sur la "Quebec Question", organisée le 7 février 2012 à l'Université de Toronto

https://quebecquestionconference.ca/



"Après 30 ans, l'état des lieux" : conférence sur la rapatriement de la constitution, 12 au 14 avril 2012, organisé par l'Association internationale d'études québécoises

https://rapatriement30ans.ca/



"Un regard sur notre Constitution 30 ans plus tard : l'influence de la Constitution canadienne et de la Charte des droits et libertés sur nos législations et identités et sur le fédéralisme": conférence organisée par l'Association d'études canadiennes, les 17 et 18 avril 2012 à Ottawa

https://goo.gl/s8359