Le projet de loi 46 est «un gaspillage de fonds publics» qui ne règle en rien le manque d'indépendance des enquêtes sur les policiers, car celles-ci continueront d'être menées par d'autres policiers.

C'est ce qu'a dénoncé hier la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain. Elle demande plusieurs «réformes urgentes», à commencer par la création d'un organisme indépendant, comme en Ontario, pour mener ces enquêtes (voir encadré). Sinon, leur «crédibilité» continuera d'être «remise en cause lors de chaque nouvel incident».

À la suite de la mort de Freddy Villanueva, tué par les balles d'un policier en août 2008, Mme Saint-Germain avait déposé un rapport pour dénoncer le manque d'impartialité des enquêtes sur des opérations policières causant des morts ou des blessés graves.

En décembre dernier, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a donc déposé le projet de loi 46. Même si des civils superviseront désormais les enquêtes, elles seront encore menées par des policiers.

Solution inefficace

Cette solution est non seulement inefficace, mais elle rendra même pire la situation, croit la protectrice. En créant un Bureau aux «moyens d'action» et «pouvoirs de surveillance» limités, Québec risquerait selon elle «d'aggraver la perception négative» sur l'indépendance. «Ces constats sont sévères, mais j'ai le devoir de les faire», a-t-elle expliqué hier, au début de la commission parlementaire sur le projet de loi.

La Ligue des droits et libertés va encore plus loin. Elle demande carrément le retrait du projet de loi. L'autre groupe qui a témoigné hier, la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPPMQ), pense le contraire. Les civils doivent rester à l'écart des enquêtes, a expliqué la FPPMQ, qui appuie le projet de loi 46. La Fédération a donné l'exemple des médecins qui enquêtent sur leurs collègues. Mais ce n'est pas le cas si l'enquête est criminelle, a rappelé Mme Saint-Germain.

Estime-t-elle que le ministre Dutil a été trop influencé par les groupes policiers? «C'est pour cela que je me suis présentée et c'est pour cela aussi que notre mémoire comporte les témoignages de directeurs d'organismes de surveillance indépendants», a répondu la protectrice.

Elle souligne le cas de Gareth Jones, un ex-policier qui travaille pour l'ombudsman de l'Ontario. «Il vient lui-même de dire que dans ses équipes d'enquête, les équipes mixtes sont les meilleures et que très souvent, l'enquêteur civil est le mieux placé pour avoir l'enquête la plus complète et la plus crédible», a-t-elle dit.

Encore 25 autres groupes doivent témoigner en commission parlementaire. Le ministre Dutil se dit ouvert à amender si nécessaire son projet de loi. Mais il soutient que les policiers restent les mieux outillés pour mener les enquêtes. «Je crois que les policiers ont le droit d'avoir, comme les autres, les meilleures enquêtes possible, et ceux qui connaissent ça le mieux, ce sont les policiers.»

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Le projet de loi 46

Lorsqu'un policier tue ou blesse gravement une personne dans l'exercice de ses fonctions, l'enquête est, dans l'état actuel des choses, confiée à un autre corps policier. Avec le projet de loi 46, ce sera encore le cas, mais c'est un Bureau civil de surveillance à créer qui les supervisera. Il sera les «yeux du public», selon le ministre Dutil. Le directeur et le directeur adjoint du bureau seront un juge à la retraite et un membre expérimenté du Barreau. Ils seront nommés par le Conseil des ministres. Six autres membres composeront le bureau, qui sera doté d'un budget annuel de 1,5 million. Selon une directive, on demande aussi aux observateurs de se rendre sur le lieu des enquêtes moins de 24 heures après l'événement. Les policiers impliqués devront quant à eux être interrogés dans un délai de 72 heures.

Ce que propose la protectrice

La protectrice du citoyen suggère plutôt de créer un organisme indépendant pour mener ces enquêtes. Les directeurs seraient des civils qui n'ont jamais travaillé pour la police. Afin d'assurer leur indépendance, ils seraient nommés par les deux tiers de l'Assemblée nationale. Ils seraient épaulés par des enquêteurs civils, qui participeraient «à part entière» aux enquêtes. On devrait les informer «sans délai» au moment d'un événement. L'organisme se rapporterait au ministère de la Justice et non à celui de la Sécurité publique. Il ne se pencherait pas seulement sur les personnes tuées ou blessées gravement par les policiers, mais aussi sur l'utilisation du dispositif à impulsion électrique (Taser) et sur les allégations d'agressions sexuelles.